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Full text of "Histoire véritable et naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France [microforme]"

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WEBSTER,  N.  Y.  14580 

(716)  872-4503 


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CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHIVI/ICIVIH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadien  Institute  for  Historical  Microreproductions  /  Institut  canadien  de  microreproductions  historiques 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notas  tachniquas  et  bibliographiquas 


The  Inatitute  haa  attampted  to  obtain  tha  beat 
original  copy  avaiCable  for  filming.  Featurea  of  thia 
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the  uaual  method  of  filming.  are  checked  below. 


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Coloured  covera/ 
Couverture  de  couleur 


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Couverture  endommagée 

Covers  reatorad  and/or  iaminated/ 
Couverture  reataurée  et/ou  peliiculée 


I      I   Cover  titie  miaaing/ 


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Le  titri»  de  couverture  manque 


Coloured  maps/ 

Cartea  géographiquea  en  couleur 

Coloured  ink  (i.e.  other  than  blue  or  black)/ 
Encre  de  couleur  (i.e.  autre  que  bleue  ou  noire) 


I      I   Coloured  platea  and/or  illviatrationa/ 


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Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 

Bound  with  other  matériel/ 
Relié  avec  d'autres  documents 

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distortion  le  long  de  la  marge  intérieure 

Blank  leaves  added  during  reatoration  may 
appear  within  the  text.  Whenever  possible,  thèse 
hâve  been  omitted  from  filming/ 
Il  se  peut  que  certaines  pages  blanches  ajoutées 
lors  d'une  restauration  apparaissent  dans  le  texte, 
mais,  lorsque  cela  était  possible,  ces  pages  n'ont 
pas  été  filmées. 

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Commentaires  supplémentaires: 


L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  poaaible  de  se  procurer.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  aont  peut-être  uniquea  du 
point  de  vue  bibliographique,  qui  peuvent  modifier 
une  image  reproduite,  ou  qui  peuvent  exiger  une 
modification  dans  la  méthode  normale  de  filmage 
aont  indiquée  ci-daaaous. 


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I      I    Coloured  pagea/ 


Pages  de  couleur 

Pages  damaged/ 
Pages  endommagées 


□    Pages  restored  and/or  Iaminated/ 
Pages  restaurées  et/ou  pelliculées    >. 

I — ~l/Pages  discoloured.  stained  or  foxed/ 
I   ^    Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 


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Pages  detached/ 
Pages  détachées 

Showthrough/ 
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Quality  of  print  varias/ 
Qualité  inégaie  de  l'impression 

Includes  supplementary  matériel/ 
Comprend  du  matériel  supplémentaire 


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□    Only  édition  available/ 
Seule  édition  diaponibie 


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Pages  wholly  or  partially  obscured  by  errata 
slips,  tissues,  etc.,  hâve  been  refilmed  to 
ensure  the  best  possible  image/ 
Les  pages  totalement  ou  partiellement 
obscurcies  par  un  feuillet  d'errata,  une  pelure, 
etc.,  ont  été  filmées  à  nouveau  de  façon  à 
obtenir  la  meilleure  image  possible. 


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10X  14X  18X  22X 


26X 


30X 


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to  the  generosity  of  : 

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of  the  original  copy  and  in  Iteeping  with  the 
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générosité  de: 

Bibliothèque  nationale  du  Canada 


Les  images  suivantes  ont  été  reproduites  avec  le 
plus  grand  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  la  netteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
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f  limage. 


Original  copies  in  printed  paper  covers  are  filmed 
beginning  with  the  front  cover  and  ending  on 
the  last  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, or  the  back  cover  when  appropriate.  Ail 
other  original  copies  are  filmed  beginning  on  the 
first  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, and  ending  on  the  last  page  with  a  printed 
or  illustrated  impression. 


The  last  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  — ►  (meaning  "CON- 
TINUED  "),  or  the  symbol  y  (meaning  "END  "), 
whichever  applies. 

Maps,  plates,  charts,  etc..  may  be  filmed  at 
différent  réduction  ratios.  Those  too  large  to  be 
entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
beginning  in  the  upper  left  hand  corner,  left  to 
right  and  top  to  bottom.  as  many  f  rames  as 
required.  The  following  diagrams  illustrate  the 
method: 


Les  exemplaires  originaux  dont  la  couverture  en 
papier  est  imprimée  sont  filmés  en  commençant 
par  le  premier  plat  et  en  terminant  soit  par  la 
dernière  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration,  soit  par  le  second 
plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaiies 
originaux  sont  filmés  en  commençant  par  'a 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 

Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  image  de  chaque  microfiche,  selon  le 
cas:  le  symbole  — *>  signifie  "A  SUIVRE",  le 
symbole  V  signifie  "FIN  ". 

Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  à  des  taux  de  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  à  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas.  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


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Véritable  et  Natvrelle 


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MŒVRS  ET  PRODVCmS 


DU  PAYS  DE  LA . 


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*  MONTRÉAL : 

IMPHIMERIB  E.  BASTIEN  A  CIE.,  15  Rue  8t.  Jacques. 


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1882. 


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novyelle-frAnce, 

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PAR  PIER^  BOUCHER,  I 

Ré'éditée  par  G.  Coffin,  E.E  D    \ 


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HISTOIRE 
Véritable  et  Natvrelle 


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HŒVRS  ET  PRODVCTIONS 


I 


DU  PAYS  DE  LA 


NOVVELLE-FRANCE, 

PAR  PIERRE  BOUCHER, 

Ré-éditée  par  G.  Cojfin,  E.E  D. 


-:o: 


MONTRÉAL  : 
IMPKIMKKIE  E.  BA8TIEN  A  CIE.,  15  Rue  St.  Jacques. 


1882. 


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risoa? 


En  offrant  au  i>ubic  cette  troisième  édition 
de  C Histoire  Yeritabfe  et  Naturelle  des  Mœvrs  et 
et  Productions  de  la  Nouvelle  France^  nous 
(.Toyons  faire  une  œuvre  méritoire,  car  ce 
petit  ouvrage,  si  éminement  canadien,  est  de- 
venu d'une  grande  rareté. 

Publié  en  France  pour  la  première  fois  en 
1663,  il  eut  un  beau  succès,  car  on  y  trouvait 
une  description  exacte  d'une  terre  lointaine 
pour  laquelle,  sans  trop  bien  pouvoir  s'en  ren- 
dre compte,  souvent  les  hommes  bien  pensants 
du  temps  s'étaient  pris  d'un  vif  intérêt.  Écrit 
dans  un  style  clair  et  modeste  tout  à  la  fois, 
ce  livre  se  trouvait  être  à  la  porté  de  toutes 
les  intelligence.  Aussi,  quoique  bientôt  dis- 
paru de  la  circulation,  laissa-t-il  le  meilleur 
souvenir  tant  dans  l'ancienne  mère  patrie  que 
dans  la  Nouvelle  France. 


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Devenu  presqu' introuvable,  et  recherché 
de  toute  part,  en  1849  les  propriétaires  du  jour- 
nal "  Le  Canadien  "  ne  crurent  pouvoir  offrir 
un  plus  jolie  cadeau  à  leurs  abonnés  que  ce- 
lui d'une  ré-impression. 

A  son  tour,  celle-ci  devint  en  peu  de  temps 
tout-à-fait  épuisée  et  c'est  à   peine   si  aujour- 
d'hui une  cop  ie  peut  en  être  trouvée  dans  les 
profondeurs  de  la  bibliothèque  de  l'antiquaire 
Canadien. 

Nous  avons  donc  cru  être  agréable  à  l'ama- 
teur en  particulier,  sinon  au  public  en  géné- 
ral, en  lui  procurant  une  nouvelle  édition  de 
cet  excellent  travail  qui,  en  même  temps,  nous 
rappellera,  s'il  est  iiécessaire,  le  nom  de  Pierre 
Boucher,  cette  belle  figure  de  notre  passé,  ce 
colon  distingué  dont  les  descendants,  race  vi- 
goureuse s'il  en  fut,  sont  si  nombreux  parmi 
nous. 

Si  nous  obtenons  notre  but  nous  nous  sen  • 
tirons  heureux. 


HISTOIRE 
Véritable  et  Natvrelle 


DES 


MŒVRS  ET  PRODVCTIONS 

DU  PAYS  DE  LA 

NOVVELLE-FRANCE 
VVLGAIREMENT  DITE  LE  CANADA. 


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A  Monsei^nevT  Colbert^  conseifler  du  Roy  en  non 
Conseil  Royal,  Intendant  des  Finances,  et  Sur- 
intendant, des  Bastiments  de  Sa  Majesté,  Barmi 
de  Sei^nela?/,  etc. 

MONSEIGNEVR,  * 

Ayant  fait  vne  Histoire  Naturelle  succinte, 
mais  véritable,  de  la  Nouuelle-France,  qui  est 
arrosée  du  grand  fleuue  S.  Laurens,  et  des 
Lacs  et  riuières  qui  s'y  vont  rendre  ;  i'ay  creu 


Mœws  et  Prodvclions 


que  cet  ouurage  vous  estoit  deu,  Dieu  vous 
ayant  donné  i^ouv  ce  pays  vn  amour  particu- 
lier, qui  sans  doute  ira  croissant,  lors  que  vous 
aurez  esté  plus  amplement  informé  de  la  bon- 
té et  de  la  beauté  de  toutes  nos  contrées  C'est 
lo  sentiment  commun  de  tous  ceux  qui  vous 
connoissent,  que  Tvnique  chose  qui  ayt  pou- 
uoir  sur  vostre  esprit,  est  de  vous  faire  bien 
connoistre.  qu'il  y  va  de  la  gloire  du  Roy,  et 
des  intérests  de  la  France  ;  et  qu'en  suite  Ton 
peut  tout  se  promettre  de  vos  soins  et  de  vos- 
tre crédit.  Cela  estant,  i'ay  creu,  Monseignevr, 
que  ce  narré  pourroit  contribuer  quelque 
chose  aux  inclinations  que  vous  auez  déjà,  de 
faire  fleurir  nostre  Nouuelle-France,  et  d'en 
faire  vn  monde  nouueau  :  lors  quo  vous  verrez 
dans  la  simplicité  de  mon  stile,  qui  est  sans 
artifice,  que  vraymMit  elle  mérite  d'estre  peu- 
plée, et  qu'elle  peut  aisément  receaoir  les  dé- 
charges de  l'Ancienne-France  qui  est  si  abon- 


De  la  Nowelle-Franae. 


3 


dante  en  hommes,  que  les  Royaumes  et  les 
Colonies  estrangeres  s'en  peuplent  de  iour  en 
iour.  Ne  vaut-il  pas  mieux  que  le  Roy  con- 
serue  ses  sujets,  les  faisant  passer  dans  la 
Nouuelle-France,  et  que  le  nom  François  soit 
également  florissant  en  Tvn  et  en  l'autre  Mon- 
de, dans  r Amérique  et  dans  TEurjpe.  Faurois 
sujet  de  craindre  que  cet  Ou  '  i*age  ne  fust  pas 
bieii .  3ceu  de  ceux  qui  rechen  hmt  les  orne- 
mens  de  nostre  Langue,  si  ie  ne  me  ressoùue- 
nois  qu'ayant  eu  l'honneur  l'année  dernière 
de  parier  à  sa  Majesté,  et  de  luy  répoudre  à 
plusieurs  questions  qu'il  me  faisoit  sur  le  Pays 
de  la  Nouuelle-France  ;  tant  s'en  faut  qu'il  se 
rebutast  de  mes  réponses  simples  et  naïues, 
qu'au  contraire  il  eut  la  bonté  d'en  témoigner 
de  l'ngréement  ;  l'ai  oreu,  Monseignevr,  que 
vous  n'auri(»z  pas  moins  de  bonté  pour  moy, 
et  que  roreuant  ce  petit  présent,  que  ie  vous 


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McBvrs  et  Prodvctiom 


offre  dVn  grand  cœur,  vous  le  protégerez,  et 
vous  me  permettrez  de  me  dire, 


De  la  Ville  des  Trois- 
Riuières,  en  la  Nouuelle- 
France,  le  8  Octob.  1663. 


Monseignevr, 


Vostre  très-humble  & 

très-obeïssant  seruiteur, 

Pierre  Bovcher. 


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AVANT-PROPOS. 


Mon  cher  Lecteur,  vous  sçaurez  que  deux 
raisons  m'ont  porté  à  faire  ce  petit  Traité.  La 
première  est,  que  i'ay  esté  engagé  par  quanti- 
té d'honnestes  gens,  que  i'ay  eu   l'honneur 
d'entretenir  pendant  que  i'ay  esté  en  France, 
et  qui  ont  pris  vn  grand  plaisir  d'entendre 
parler  de  ce  pays  icy,  et  de  se  voir  desabusez 
de  quantité  de  mauuaises  opinions  qu'ils  en 
auoient  conceu:  en  suite  de  quoy  ils  m'ont 
prié  de  leur  enuoyer  vue  petite  Relation  du 
Pays  de  la  Nouuelle-France,  c'est  à  dire  ce 
que  c'est  du  Pays,  et  ce  qui  s'y  trouue,  afin 


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Mœvrs  et  Prodvdwns 


de  le  faire  sçauoir  à  leurs  amis.  Le  nombre 
de  ceux  qui  m'en  ont  prié  estant  grand,  je 

n'auroJs  pu  que  malaisément  y  satisfaire  ; 
c'est  pourquoy  ie  me  suis  résolu  de  faire  im- 
primer la  présente  Des-îription,  et  les  prier  d'y 
auoir  recours. 

La  seconde  raison,  c'est  qu'ayant  veu  l'af- 
fection que  Sa  Majesté  temoignoit  auoir  pour 
sa  Nouuelle-France  et  la  resolution  qu'il  a 
prise  de  détruire  les  Iroquois  nos  ennemis,  et 
de  peupler  ce  Pays  ioy,  i'ay  pensé  que  i'obli- 
gerois  beaucoup  de  monde,  de  ceux  qui  au- 
roient  quelques  desseins  d'y  venir,  ou  d'y 
faire  venir  quelques-vns  de  leurs  alliez,  de 
leur  pouuoir  faire  connoistre  le  Pays  auant 
que  d'y  venir. 

Il  y  a  long-t;3mps  que  i^auois  cette  pensée 
et  i'attendois  toujours  que  quelqu'vn  mist  la 
main  à  la  plume  pour  cet  effet  :  mais  voyant 


De  la  Nowelle- France. 


que  personne  ne  s'en  est  mis  en  deuoir,  ie  me 
suis  résolu  de  faire  la  présente  description, 
en  attendant  que  quelqu'autre  la  fasse  dans 
vn  plus  beau  stile  :  car  pour  moy,  ie  me  suis 
contenté  de  vous  d'écrire  simplement  les 
choses,  sans  y  rechercher  le  beau  langage  ; 
mais  bien  de  vous  dire  la  vérité  auec  le  plus 
de  naïueté  qu'il  m'est  possible,  et  le  plus 
brièvement  que  faire  se  peut  ;  obmettant  tout 
ce  que  ie  crois  estre  superflu,  et  ce  qui  ne 
seruiroit  qu'à  embellir  le  discours. 

le  ne  vous  diray  quasi  rien  qui  n'aye  déjà 
esté  dit  par  cy-deuant,  et  que  vous  ne  puis- 
siez trouuer  dans  les  Relations  des  RR.  PP. 
lesuites,  ou  dans  les  Voyages  du  Sieur  de 
Ohamplain  :  mais  comme  cela  n'est  pas  ra- 
massé dans  vn  seul  liure,  et  qu'il  faudrait  lire 

toutes  les  Relations  pour  trouuer  ce  que  i'ay 
mis  icy  ;  ce  vous  sera  vne  facilité,  sur  tout 


8 


Mœurs  et  Prodvctions 


pour  ceux  qui  n'ont  autre  dessein  que  de 
conuoistre  ce  que  c'est  du  pays  de  la  Nouuelle- 
France,  et  qui  ne  se  mettent  pas  en  peine  de 
ce  qui  s'y  est  passé,  ny  de  ce  qui  s'y  passe. 
C'est  la  raison  pour  laquelle  ie  n'en  parleray 
point,  quoy  qu'il  y  ayt  eu  quelque  chose  cette 
année  de  bien  extraordinaire,  dont  ie  li'auois 
rien  veu  de  semblable,  depuis  environ  trente 
ans  qu'il  y  a  que  ie  suis  dans  ce  Pays  icy  ; 
qui  est  vn  tremble-terre  qui  a  duré  plus  de 
sept  mois,  sur  tout  vers  Tadoussac,  où  il  s'est 
fait  sentir  extraordinairement  ;  il  s'est  fait  là 
des  remuemens  admirables.  Nous  en  auons 
eu  dans  les  commencemens  des  atteintes  aux 
Trois-Riuières,  et  mesme  iusques  au  Mont 
Royal.  Mais  ce  qui  est  de  plus  aymable  en 
tous  ces  bouleuersemens  et  ces  secousses  épou- 
uantables  ;  c'est  que  Dieu  nous  a  tellement 
i-onserué,  que  pas  vne  seule  personne  n'en  a 


De  la  Nowelle-France. 


receu  la  moindre  incommodité.  le  n'en  diray 
pas  dauantage,  les  Pères  lesaites  en  font  la 
description,  auec  tous  les  effets  qu'il  a  produit, 
dans  leur  Relation  que  vous  pourrez  voir  auec 
bien  plus  de  plaisir,  le  tout  y  estant  mieux 
d'écrit  que  ie  ne  le  pourois  pas  faire.  Vous 
verrez  cy-apres  les  auantages  que  l'on  peut 
tirer  de  ces  pays  pour  le  temporel,  ie  veux 
dire  pour  les  biens  de  la  terre. 

Pour  le  Spirituel,  l'on  ne  peut  rien  désirer 

de  plus.  Nous  auons  vn  Euesque  dont  le  zèle 

et  la  vertu  sont  au  delà  de  ce  que  i'en  puis 

dire  :  il  est  tout  à  tous,  il  se  fait  pauure  pour 

enrichir  les  pauures,  et  ressemble  aux  Ëues- 

ques  de  la  primitiue  Ëglise.    Il  est  assisté  de 

plusieurs  Prestres  séculiers,  gens  de  grande 

vertu  ;  car   il  n'en  peut  souffrir  d'autres.  Les 

Pères  lesuites  secondent  ses  desseins,  trauail- 
lant  dans  leur  zèle  ordinaire  infatigablement 
pour  le  salut  des  François  et  des  Saunages. 


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10 


Mcevrs  et  Prodvctions 


\  \ 


En  vn  mot,  les  gens  de  bien  penaent  viure 
icy  bien  contens  ;  mais  non  pas  les  meschans, 
veu  qu'ils  y  sont  éclairez  de  trop  prés  :  c'est 
pourqnoy  ie  ne  leur  conseille  pas  d'y  venir  ; 
car  ils  pourroient  bien  en  estre  chassez,  et  du 
moins  estre  obligez  de  s'en  retirer,  comme 
plusieurs  ont  déjà  fait  ;  et  ce  sont  ceux-là  pro- 
prement qui  décrient  fort  le  Pays,  n'y  ayans 
pas  rencontré  ce  qu'ils  pensoient. 

le  ne  doute  pas  que  ces  gens-là,  qui  ont 
esté  le  rebut  de  la  Nouuelle-France,  quand  ils 
entendront  lire  cette  mienne  Description,  ne 
dise  que  J'aiouste  à  la  venté  :  et  peut-estre 
encore  quelques  autres  personnes  diront  le 
mesme,  non  pas  par  malice,  mais  par  igno- 
rance :  le  vous  asseure,  mon  cher  Lecteur, 
que  i'ay  veu  la  plus  grande  partie  de  tout  ce 
que  ie  dis,  et  le  reste  ie  le  sçay  par  des  per- 
sonnes tres*dignes  de  foy. 


De  la  Novvelle-France. 


11 


le  sçay  bien  que  vous  trouuerez  d'autres 
fautes,  et  quantité  mesme  contre  Tordre  de  la 
narration  ;  mais  ie  crois  que  vous  me  les  par- 
donnerez bien  volontiers,  quand  vous  consi- 
dérerez que  ce  n'est  pas  mon  mestier  de  com- 
poser; que  d'ailleurs  je  n'ay  fait  ce  petit 
abrégé  de  la  Nouuelle-France,  que  pour  obli- 
ger diuerses  personnes,  en  attendant  que  quel- 
que meilleure  plume  le  fasse  plus  exactement, 
et  dans  vn  plus  beau  stile  ;  c'est  en  partie 
pour  cela  que  i'ay  obmis  quantité  de  belles 

choses  dignes  d'vn  Lecteur  curieux,  et  n'ay 
cherché  qu'à  estre  le  plus  bref  qu'il  m'a  esté 
possible,  &  cependant  donner  à  connoistre  co 

qui  est  absolument  nécessaire. 

Extrait  du  C^itn  ^ogue  d'Ouvrage»  aur  V Histoire  de  V Amérique,  de 

M.  Faribault. 

78.  Bo(TOHBR(PlKRRK),  gouvemcur  deg  Trois-IUvtëreê  en  On- 
nacto.— Histoire  véritable  et  naturelle  des  mœurset  productions 
de  la  XouveP.<}-France,  vulgairement  dite  le  Canada  :  Pctris, 
ohes  Florenètii  Lambert,  rue  St.  Jacques,  A  l'Image  St.  Paul, 
petit  tn  19 

"*  li'auteur  de  ce  petit  ouvrage  n'est  pas  le  Père  Pierre  Bou- 
«hor,  .Tésntte,  comme  l'on  cru  le  Père  Le  Long  et  M.  l'Abbé 
Lengiet,  mais  le  Sieur  Boucher  qui  a  été  Gouverneur  des 
Trols-Rlvières,  et  un  d^s  première  nabitants  de  la  Nouvelle- 
France  :  il  est  mort  Agé  de  près  de  cent  ans.  Il  avait  été  dé- 
Sutô  h  la  cour  pour  représenter  les  besoins  de  la  colonie,  et  ce 
tt  lors  de  ce  voyage  en  France  qu'il  flt  imprimer  cette  rela- 
tion, qui  ne  comprend  qu'une  notice  assez  superficielle,  mais 
fidèle,  du  Canada,  dit  le  père  Charlevoix.— (Jv.  de  Fcmtette.) 


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HISTOIRE  NATVRELLE 


DE 


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CANADAS. 

DB  LA    VOWBUbB-FBAVOB    BV   OBVBBAlb. 

ORAFZTBB  Z. 

Parlant  de  la  Nouuelle-France  en  gênerai, 
ie  peux  dire  que  c'est  un  bon  pays,  et  qui 
contient  en  soy  vne  bonne  partie  de  ce  que 
Ton  peut  désirer.  La  terre  y  est  très-bonne, 
y  produit  à  merueille,  et  n'est  point  ingratte  ; 
nous  en  auons  Texperience.  Le  pays  est  cou- 
uert  de  très-belle  et  épaisses  forests,  lesquelles 


De  lu  Nowelle- France. 


18 


sont  paupléeg  de  quantité  d'Animaux,  et  de 
diu3rrfes  espaov^s,  et  ce  qui  est  encor  plus  con- 
sidérable, c'est  que  les  dites  forests  sont  entre- 
coupées de  grandes  et  petites  riuieres  de  très 
bonnes  eaux,  avec  quantité  de  sources  et  belles 
fontaines  ;  de   grands  et   petits  lacs,  bordez 

aussi  bien  que  les  riuieres  de  belles  et  grandes 
prairies,  qui  produisent  d'aussi  bonnes  herbes 

qu'en  France.  Dans  ces  lacs  et  riuieres.  il  s'y 
trouue  grand  nombre  de  toutes  sortes  de  Pois- 
sons, très-bons  et  délicats  ;  il  s'y  rencontre 
aussi  grande  quantité  de  G-ibier  de  riuiere  : 
le  Pays  est  fort  sain  ;  les  Animaux  qu'on 
amené  de  Frances  se  nourissent  fort  bien  ;  on 
y  void  plusieurs  plantes  rares  qui  ne  se  trou- 
uent  point  en  France  ;  il  y  a  peu  de  plantes 
qui  soient  nuisibles  à  l'homme,  et,^  au  con- 
traire, il  y  a  beaucoup  de  simples  qui  ont  des 
effets  merueilleux.     Il  y  a  aussi  peu  d'Ani- 


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Mœurs  et  Frodvclions 


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maux  mal-faisans  :  on  a  decouuort  des  fontai- 
nes d'eau  salée,  dont  Ton  peut  tirer  de  très- 
bon  sel,  et  d'autres  qui  sont  mineralles.  Il  y 
on  a  vue  au  Pays  des  Iroquois,  qui  jette  vne 
eau  grasse,  qui  est  comme  de  l'huile,  et  dont 
on  se  sert  en  beaucoup  de  choses  au  lieu 
d'huile.  Il  y  a  aussi  plusieurs  mines,  à  ce  que 
l'on  dit  :  ce  dont  ie  suis  asseuré,  c'est  qu'il  y 
en  a  de  fer  et  de  cuiure  en  plusieurs  endroits  ; 
diuers3s  personnes,  dignes  de  foy,  m'ont  as- 
seuré qu'il  y  en  a  vne  de  plomb  fort  abondan- 
te, et  qui  n'est  pas  bien  loin  de  nous  ;  mais 
comme  c'est  sur  le  chemin  par  où  passent  nos 
Ennemis,  on  n'a  encore  ozé  y  aller  pour  en 
faire  la  decouuerte.  Les  climats  y  sont  difFé- 
rens  selon  les  lieux  ;  mais  ie  puis  tousiours 
dire  en  gros,  qu'aux  lieux  Us  plus  froids, 
l'Hyuer  y  est  plus  guay  qu'en  France,  le  don- 
neray  vne  plus  parfaite  connoissance,  quand 


De  la  Novvel le- France. 


15 


ie  traitteray  do  chaque  chose  en  particulier, 
comme  j'espère  faire  pour  la  satisfaction  du 
Ijccteur. 

La  Nouuelle-France  est  vn  très-grand  Pays, 
qui  est  coupé  en  deux  par  un  grand  fleuue  nom- 
mé le  Fleuue  St  Laurens  :  son  emboucheure 
commence  à  Gaspé,  et  a  cinquante  lieues  de 
large  ;  pour  sa  longueur  nous  n'en  sçauons 
autre  chose,  sinon  qu'il  prend  son  origine  du 
lac  des  Hurons,  autrement  appelé  la  Mer- 
douce,  que  l'on  tient  auoir  enuirons  trois-cens 
lieues  de  contour  :  de  sorte  qu'il  se  trouue 
que,  depuis  Gaspé  jusques  au  dit  lac,  il  y  a 
prés  de  cinq  cens  lieues,  par  le  circuit  qu'elle 
fait. 

Dans  ce  dit  lac,  ou  mer-douce,  se  décharge 
vn  autre  lac  appelé  lac  Supérieur,  lequel  ne 
luy  cède  gueres,  selon  le  rapport  qui  nous  en 
a  esté  fait  par  les  Saunages  de  ces  Pays-là,  et 


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16 


Mœvrs  et  Prodvcliom 


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mesme  par  des  François  qui  en  sont  venus 
depuis  peu. 

Tout  ce  grand  Pays  nous  demeure  inconnu, 
à  cause  de  la  guerre  des  Iroquois,  qui  nous 
empeschent  d'en  faire  la  découuerte,  comme 
il  seroit  souhaitable. 

Il  est  vray  que  ce  Pays  de  la  Nouuelle- 
France  a  quelque  chose  d'affreux  à  son  abord  ; 
car,  à  voir  Tlsle  de  Terre-neufve,  où  est  Plai- 
sance, les  Isles  Saint  Pierre,  le  Cap  de  Baye, 
risJe  Saint  Paul,  et  les  autres  Terres  de  l'entrée 
du  Grolfe,  tout  cela  donne  plus  d'effroy  et 
d'enuie  de  s'en  éloigner,  que  de  désir  d'y  vou- 
loir habituer  ;  c'est  pourquoy  ie  ne  m'esfbnne 
pas  si  ce  Pays  a  demeuré  si  long-temps  sans 
estre  habitué.  le  trouue,  après  tout  considéré, 
qu'il  ne  luy  manque  que  des  habitans.  C'est 
la  raison  qui  m'a  obligé  à  faire  ce  petit  Traité, 
pour  informer  auec  vérité  tous  ceux  qui  au- 


De  ht  Nometle- France. 


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roieift  de  rinclination  pour  le  Pays  de  la 
Nouuelle-France,  et  qui  auroient  quelque  vo- 
loiitez  de  s'y  venir  habituer,  et  pour  oster  la 
mauuaise  opinion  que  le  vulgaire  en  a,  et  que 
mal-à-propos  on  menace  d'enuoyer  les  garne- 
mens  en  Canadas  comme  par  punition  ;  vous 
asseurar  '  que,  tout  au  contraire,  il  y  a  peu  de 
personnes  de  ceux  qui  y  sont  venus,  qui  ayent 
aucun  dessein  de  retourner  en  France,  si  des 
affaires  de  grande  importance  ne  les  y  appel- 
lent ;  et  ie  vous  diray  sans  déguisement,  que, 
pendant  mon  seJour  à  Paris  et  ailleurs,  Tannée 
précédente,  j'ay  fait  rencontre  de  plusieurs 
personnes  assez  à  leur  aise,  qui  avaient  esté 
par  cy-devant  Habitans  de  notre  Canada,  et 
qui  s'en  estoient  retirez  à  cause  de  la  guerre, 
lesquels  m'ont  asseuré  qu'ils  estoient  dans 
vne  grande  impatience  d'y  reuenir  :  tant  il 
est  vray  que  la  Nouuelle-France  a  quelque 


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Mœvrs  et  Prodvcttons 


chose  d'attrayant  pour  ceux  qui  en  sçauent 
gouster  les  douceurs.  '^  ^^h'  '       '^^ ^^ ' ''^ 

Pour  vous  rendre  la  suitte  de  ce  traitté  plus 
intelligible,  ie  vous  diray  la  distance  qui  se 
trouue  de  lieux  à  autres  qui  sont  habitez  ou 
qui  sont  remarquables  pour  leurs  Havres,  ou 
pour  autres  choses. 

Nous  lairons  donc  toute  l'entrée  du  (iolfe, 
dont  j'ay  parlé  cy-dessus,  comme  d'vn  pays 

qui  ne  vaut  pas  la  peine  qu'on  en  écriue  rien  ; 

Nous    dirons    seulement    que    depuis   l'Isle 

Percée  jusques  à  Graspé,  il  y  a  sept  lieues  ;  de 

Gi-aspé  à  Tadoussac,  quatre-vingt-trois  lieues  ; 

de  Tadoussac  iusques  à  Québec,  trente  lieues  ; 

de  Québec  iusques  aux  Trois-Riuieres,  trente 

lieues  ;    des   Trois-Riuières   au   Mont-Royal, 

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trente  lieues  ;  des  Trois-Riuieres  iusques  aux 


Iroquois  d'en-bas,  nommez  Anieronnons,  qui 
sont  proches  de  la  Nouuelle-Hollande,  il  y  a 


De  kl  Nowelle-France. 


19 


environ  quatre-vin^t  lioues  ;  du  Mont-Royal 
iusques  aux  Iroquois  du  milieu,  nommez  On- 
nontagueronnons,  il  y  a  pareillement  enuiron 
qualre-ringt  lieues  ;  du  Mont-Royal  iusques 
au  t^ays  où  demeuroient  autrefois  les  Hurons, 
il  y  a  deux  cens  lieues  ;  tout  ce  grand  fleuue 
et  ces  grands  lacs  sont  remplis  de  belles  Isles 
de  toute  sorte  de  grandeur, 

La  grande  Riuiere  vient  du  Couchant  au  ; 
Leuant.  L'eau  en  est  salée  iusques  au  Cap 
Tourmente,  qui  est  sept  lieues  au-dessous  de 
Quebecî  ;  l'on  compte  dé  Québec  sur  le  grand 
Banc  de  Terre-neufve  ou  l'on  va  pescher  les 
Molues,  trois  cens  lieues. 

Aux  enuirons  de  l'Islo  Percée,  il  se  trouue 
grand  nombre  d'huitres  en  écailles,  qui  sont 
parfaitement  bonnes.  Il  y  a  aussi  en  ces  quar- 
tiers-là un  costeau  de  charbon  de  terre;  il  y  a 
pareillement  un  peu  plus  deçà  vne  Platrière. 


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20 


Mœvrs  et  Productions 


Il  me  reste  à  vous  dire  par  quelle  hauteur 

sont  nos  habitations,  pour  vous  rendre  le  tout 

plus  intelligible. 

Vous  sçaurez  donc  que  Qaspé  est  par  les 

quarante-neuf  degréz  et  dix  minutes  ;  Tadous- 

sac  par  les  quarante-huit  degrez  et  un  tiers  ; 

Québec  pair  les  quarante-six  trois  quarts  ;  les 

Trois-Eiuieres   par  les  quarante-six  ;  Mont- 

Soyal  par  les  quarante-cinq  ;  les  Iroquois  du 

Milieu,  où  on  auoit  habituée  cy-devant,  nom- 
mez Onnontagueronnons,  par  les  quarante- 
deux  et  un  quart. 


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BRIEFUE  DESCRIPTION  DE  QUEBEC 

ET  DE 

QUELQUES  AUTRES  LIEUX, 

•— :o:— 

CHAPÏTE33  II. 

—  :o: — 
Comme  io  si^ay  obligé,  dans  la  siiitte  de 
mon  discours,  de  parler  souuent  de  Québec, 
qui  est  la  principal  habitation  que  nous  ayons 
en  la  Nouuelle-France,  et  le  lieu  qui  a  esté  le 
premier  habité  par  les  François,  i'ai  creu  qu'il 
estoit  à  ])ropos  que  j'en  fisse  dès  le  commen- 
cement une  grossière  description,  afin  de  don- 
ner plus  d'intelligimce  au  Lcci«Mir. 


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Mœvrs  et  Productions 


Québec  est  donc  la  principale  habitation  où 
réside  le  G-ouuerneur  G-eneral  de  tout  le  Pays, 
il  y  a  vne  bonne  forteresse  et  vne  bonne  gar- 
nison :  comme  aussi  vne  belle  Eglise  qui  sert 
de  Paroisse,  et  qui  est  comme  la  Cathedral  de 
tout  le  Pays.  Le  Service  s'y  fait  avec  le  mesmes 
cérémonies  que  dans  les  meilleures  Paroisses 
de  France  :  c'est  aussi  dans  ce  lieu  que  réside 
l'Euesque.  Il  y  a  vn  Collège  de  Jésuites,  vn 
Monastère  d'Urselines  qui  instruisent  toutes 
les  petites  filles,  ce  qui  fait  beaucoup  de  bien 
au  Pays  ;  aussi  bien  que  le  Collège  des  Jésui- 
tes pour  4'instruction  de  toute  la  jeunesse 
dans  ce  Pays  naissant.  Il  y  a  pareillement  vn 
couuent  d'Hospitalières  qui  est  vn  grand  sou- 
lagement pour  les  panures  malades.  C'est 
dommage  qu'elles  n'ont  dauantage  de  revenu. 
Québec  est  situé  sur  le  bord  du  grand  fleuue 


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De  la  Nowelle- France. 


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Saint  Laurens,  qui  a  enuirori  vue  ]>etite  lieue 
de  large  en  cet  endroit  là,  et  qui  coule  entre 
deux  grandes  terres  élevées  ;  cette  forteressejes 
Eglises  et  les  Monastères  et  les  plus  belles  mai- 
sons sont  basties  sur  le  haut;  plusieurs  maisons 
et  magasins  sont  bastis  au  pied  du  costeau, 
sur  le  bord  du  Grand  Fleuue,  à  Toccasion  des 
nauires  qui  viennent  jusques-là,  car  c'est  là 
le  terme  de  la  navigation  pour  les  nauires  ; 
Ton  ne  croit  pas  qu'ils  puissent  passer  plus 
auant  sans  risque. 

Vue  lieue  au  dessous  de  Québec  la  riuière 
se  sépare  en  deux,  et  forme  vue  belle  Isle,  que 
l'on  appelle  l'Isle  d'Orléans,  qui  a  enuiron 
dix-huit  lieues  de  tour,  dans  laquelle  il  y  a 
plusieurs  Habitans  ;  les  terres  y  sont  fort 
bonnes,  il  y  a  aussi  quantité  de  prairies  le 
long  des  bords. 

Québec  est  basty  sur  le  ro<%  et  en  creusant 


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Mrrvrs  et  Pmdvrff'ons. 


les  caues  on  tire  de  la  pierre  de  quoy  faire  l(\s 
logis  ;  tout(^sfois  cette  pierre  n'est  pas  bien 
bonne,  et  elle  ne  prend  pas  le  mortier  ;  e'est 
un  espeee  de  marbre  noir  ;  mais  à  une  lieue 
de  là,  soit  au  dessus  ou  au-dessous,  on  en 
trouui^  qui  est  parrait<nnent  boniu»  sur  le  bord 
du  dit  Heuue,  qui  se  taille  fort  bien.  On 
trouue  dans  (Québec  de  la  pierre*  à  ehaux,  et 
de  la  terre  grasse  pour  faire»  d(*  la  brique,  jiaué, 
thuile,  {*t  autres  choses  semblables  ;  quntri»  ou 
cinq  cens  pas  au  dessous  de  la  forh^resse,  la 
terre  est  (^oupée  par  vue  belle  riuiere,  nom- 
mée la  riuiere  Saint  Charles,  qui  a  près  d'une 
lieue  de  large  en  sa  décharge  dans  la  grande 
riuiere,  quand  la  mare^  est  haute  ;  car  de 
marée  basse»,  elle  est  presque  toute  à  f<(H',  ce 
(|Ui  est  vue  belle  commodité  pour  bien  pren- 
vtJvedu  poisson,  qui  est  vn  bon  rafraichisse- 
ment  aux  Ilabitans  de  ce  lieu-lA,  surtout  le 


De  la  Novvel le- France. 


printemps  qu'il  s'p  pesche  une  infinité  d'Alo- 
zes.  Au  dessous  de  cette  iiui«^re  le  pays  deuient 
plat,  et  est  habité  iusques  à  sept  iieues  en 
bas  ;  les  marées  y  sont  parfaitement  réglées, 
elles  descendent  sept  heures  et  montant  cinq, 
et  <  haque  lois  retardent  de  trois  quarts 
d'heure. 

QTtebec  est  situé  du  costé  du  Nort,  et  est 
habitué  assez  auant  dans  les  terres,  qui  s'y 
sont  trouuées  bonnes.  11  est  habitué  aussi 
trois  lieues  en  montant  ;  mais  les  terres  n'y 
sont  \m^  si  bonnes  :  comme  pareillement  du 
costé  du  Sud,  les  terres,  quoy  que  bonnes,  y 
semblent  un  peu  plus  ingrates. 

La  pesche  est  abondante  dans  tous  ces  quar- 
tiers  là    de  quantité  de  sortes  de   poissons, 
Comme  Esturgeons,  Saumons,  Barbues,  Bar, 
Alozes  et  plusieurs  autres  ;  mais  ie  ne  puis 


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26 


Mœvrs  et  Productions 


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obmettre  vne  pesche  d'Anguille  qui  se  fait  en 
Automne,  qui  est  si  abondante,  que  cela  est 
incroyable  à  ceux  qui  ne  l'ont  pas  veu.  Il  y 
a  tel  homme  qui  en  a  pris  plus  de  cinquante 
milliers  pour  sa  part.  Elles  sont  grosses  et 
grandes  et  d'vn  fort  bon  goust,  meilleures 
qu'en  France  de  beaucoup  ;  on  en  sale  pour 
toute  l'année,  qui  se  conseruent  parfaitepaent 
bien  et  sont  d'vne  excellente  nourriture  pour 
les  gens  de  travail. 

La  chasse  n'est  pas  si  abondante  à  présent 
proche  de  Québec  comme  elle  a  esté  :  le  Gibier 
s'est  retiré  à  dix  ou  douze  lieues  de  là.  11 
reste  seulement  des  Tourterelles  ou  des  Biseaux 
qui  sont  icy  en  abondance  tous  les  Estez  :  il 
s'en  tue  iusques  dans  les  lardins  de  Québec 
et  des  autres  habitations  ;  elles  durent  seule- 
ment quatre  mois  de  l'année. 


De  la  Nowel/e- France. 


21 


On  y  semé  de  toutes  sortes  de  choses,  tant 
dans  les  champs  que  dans  les  iardins,  tout  y 
uenant  fort  bien,  comme  ie  diray  cy-apres, 
nonobstant  la  longueur  de  l'Hyuer. 

Puisque  ie  suis  tombé  sur  l'Hyuer,  ie  diray 
vn  petit  mot  en  passant  des  saisons  :  on  n'en 
compte  proprement  que  deux,  car  nous  pas- 
sons tout  d'vn  coup  d'vn  grand  froid  à  vn 
grand  chaud,  et  d'vn  grand  chaud  à  vn  grand 
froid  ;  c'est  pourquoy  on  ne  parle  que  par 
Hyuer  et  Esté.  L'Hyuer  commence  inconti- 
nent après  la  Toussaints  ;  c'est  à  dire  les 
gelées  et  quelque  tems  après  les  neiges  vien- 
nent, qui  demeurent  sur  la  terrb  iusques 
enuiron  le  quinzième  d'Auril  pour  l'ordinaire  : 
car  quelques  fois  elles  sont  fondues  plus  tost, 
quelques  fois  aussi  plus  tard  ;  mais  d'ordi- 
dinaire  c'est  dans  le  seizième  que  la  terre  se 
trouue  libre  et  en  estât  de  pousser  les  plantes 


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28 


Mœvrs  et  Prodvciions 


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et  d'est re  labourée.  Dés  le  eommencemeiit  de 
May,  les  chaleurs  sont  extrêmement  grandes, 
et  on  ne  diroit  pas  que  nous  sortons  d'vn  grand 
Hyuer  :  cela  fait  que  tout  auance,  et  que  l'on 
void  en  moins  de  rien  la  terre  parée  d'vn  beau 
verd  ;  et  en  effet,  cela  est  admirable  de  voir  que 
le  bled  qu'on  semé  dans  la  fin  d'Auril,  et  ius- 
ques  au  vingtième  de  May,  s'y  recueille  dans 
le  mois  de  Septembre  et  est  parfaitement  beau 
et  bon  :  et,  ainsi,  toutes  les  autres  choso^s  auan- 
cent  à  proportion  ;  car  nous  voyons  que  les 
choux  pommez,  qui  se  sèment  icy  au  com- 
mencement de  May,  se  replantent  dans  le 
vingt  ou  uingt-quatrième  de  luin,  se  recueil- 
lent à  la  fin  d'Octobre,  et  ont  des  pommes  qui 
pezent  quinze  à  seize  liures. 

Pour  l'Hyuer,  quoy  qu'il  dure  cinq  mois  et 
que  la  terre  y  soit  couuerte  de  neiges,  et  que 
pendant  ce  tems  le  froid  y  soit  vn  peu  aspre, 


De  la  Nowelle-France. 


29 


il  n'est  pas  toutes  fois  désagréable  :  c'est  vn 
froid  qui  est  guay.  et  la  pluspart  du  tems  ce 
sont  des  iours  beaux  et  serains,  et  on  ne  s'en 
trouue  aucunement  incommodé.  On  se  pro- 
mené par  tout  sur  les  neiges,  par  le  moyen  de 
certaines  chausseures,  faites  par  les  Saunages, 
qu'on  appelle  Raquettes,  qui  sont  fort  com- 
modes. En  vérité,  les  neiges  sont  icy  moins 
importunes  que  ne  sont  les  boues  en  France. 
Les  saisons  ne  sont  pas  égales  par  tout  le 
Pays  :  aux  Trois-Riuieres,  il  y  a  prés  d'vn 
mois  moins  d'Hyuer  ;  au  Mont-Royal,  enuiron 
six  semaines  ;  et  chez  les  Iroquois,  il  n'y  a  qu'en- 
uiron  vn  mois  d'Hyuer.  Québec,  quoy  que 
moins  fauorable  pour  les  saisons  et  pour  l'as- 
pect du  lieu  qui  n'a  pas  tant  d'agrément,  a, 
toute  fois,  un  très-grand  auantage  à  cause  du 
nombre  d'Habitans,  et  qu'il  est  l'abord  des 
nauires  qui  viennent  de  France. 


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Mœurs  et  Prodrctùrns 


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Tadovissac*  est  vu  lieu  où  les  nauires  abor- 
doient  autrefois,  et  où  ils  faisoient  leurs  dé- 
charges auant  qu'on  ozast   les  faire  monter 

jusques  à  Québec  :  tout  ce  qu'il  y  a  de  consi- 
dérable, c'est  vne  belle  anse  en  cul  de  sac,  où 
les  nauires  sont  bien  à  l'abry,  l'anse  y  estant 
profonde  et  de  bonne  ancrage. 

Il  y  a  vne  belle  riuiere,  nommée  le  Saguené 
qui  passe  tout  à  trauers  :  on  y  a  faist  bastir 
vne  chapelle,  vn  magazin  et  vne  petite  forte- 
resse, à  l'occasion  de  plusieurs  Saunages  qui  y 
passent  l'Esté;  mais  il  n'y  a  personne  qui, y 
habite,  le  pays  n'estant  pas  propre  tant  pour 
les  terres  que  pour  la  saison,  quoy  que  la  pes- 
che  y  soit  fort  bonne. 

Mais  disons  vn  mot  du  l'habitation  des 
Trois-Eiuieres  :  c'est  vn  fort  beau  pays  à  voir, 
un  pays  plat,  point  montagneux,  qui  a  de  fort 
beaux  bois  :  plusieurs  riuieres  et  lacs  entrecou- 


De  la  Novvel le- France. 


81 


pent  ses  terres  qui  sont  toutes  bordées  de 
belles  prairies,  ce  qui  fait  qu'il  y  a  quantité 
d'Animaux,  et  surtout  des  Elans,  Caribous  et 
Castors,  et  très-grand  nombre  de  Gribier  et  de 
Poisson. 

Les  terres  que  l'on  a  commencé  à  déserter 
sont  sablonneuses,  mais  qui  ne  laissent  pas  de 
produire  à  merveille,  estant  vn  sable  gras  au- 
dessus.  On  s'est  basti  seulement  du  costé  du 
Nort. 

Il  y  a  comme  deux  habitations  séparées  par 
vne  grosse  riuiere,  on  l'appelle  les  Trois- 
Riuieres,  à  cause  qu'estant  entrecoupée  par 
des  Isles,  elle  fait  comme  trois  riuieres  en  ce 
lieu  là,  qui  vient  de  dedans  les  terres  du  (^osté 
du  Nort. 

Mont-Royal,  qui  est  la  dernière  de  nos  habi- 
tations Françoises,  est  plus  auancée  dans  les 
terres.  Elle  est  située  dans  vne  belle  grande 


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82 


Mœvrs  et  Prodvctions 


Isle,  nommée  Tlsle  du  Mont-Royal  ;  les  terres  y 
sont  fort  bonnes.  C*est  terre  noire  ou  pierreu- 
se, qui  produit  du  grain  en  abondance  :  tout  y 
vient  parfaitement  bien  ;  mais  surtout  les  me- 
lons et  les  oignons  :  la  pesche  et  la  chasse  y 
est  très-bonne:  tout  le  Pays  d'alentour  est  par- 
faitement beau,  et  tant  plus  Ton  monte  en 
haut  du  costé  des  Iroquois,  plus  le  Pays  y  est 
agréable  :  c'est  vn  Pays  plat,  vue  forest  où  les 
arbres  sont  gros  et  hauts  extraordinairement  ; 
ce  qui  monstre  la  bonté  de  la  terre,  ils  y  sont 
clairs  et  point  embarassez  de  petit  bois  :  ce 
serait  vn  Pays  tout  propre  à  courir  le  Cerf, 
dont  il  y  a  abondance,  s'il  y  auait  en  ce  Pays 
des  Habitants  qui  eussent  des  chenaux  pour 
cela,  et  que  Tlroquois  eust  esté  un  peu  humi- 
lié, ou  pour  mieux  dire  dompté  :  la  pluspart 
de  ces  arbres  sont  des  chesnes. 
Mais  ne  nous  amusons  pas  si  long-tems  sur 


De  la  Novvelle-Frafwe. 


88 


sur 


les  chemins,  et  entrons  tout  dVn  coup  dans  le 
grand  lac  des  Iroquois,  après  auoir  passé  au 
trauers  de  plus  de  deux  cens  Isles  qui  sont  à 
l'entrée,  dont  les  deux  tiers  ne  sont  que  prai- 
ries, et  Tautre  tiers,  des  rochers  en  pain  de 
sucre.  Laissons  à  droit  et  à  gauche,  et  dans  les 
Isles  vn  grand  nombre  de  bestes  qu'on  y 
rencontre,  qui  sont  quelquefois  plus  de  cinq 
cens  tout  dVne  bande. 

Ce  Pays  des  Iroquois  dont  ie  veux  parler  et 
qui  est  sur  le  bord  de  nostre  grand  fleuue, 
puisqu'il  passe  au  travers  de  leur  grand  Lac, 
est  un  fort  bon  Pays  et  bien  agréable  :  la  terre 
en  est  parfaitement  bonne  et  la  meilleure  que 
l'on  puisse  rencontrer  ;  ainsi  qu'on  peut  juger 
par  les  arbres.  Il  ne  s'y  rencontre  quasi  point 
de  sapinières,  mais  au  contraire  rien  que  beaux 
bois,  qui  sont  chesnes,  chastagniez,  noyers, 
hestres,  bois  blanc,  meuriers,  et  quantité  d'au- 


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84 


Mœvrs  et  Prodvctions 


très  beaux  arbres  dont  nous  n'auons  point  de 
connoissance  en  ces  quartiers,  ce  qui  est  cause 
que  je  n'en  sçais  pas  les  noms  ;  Les  arbres 
fruitiers  sont  plus  en  abondances.  Comme 
aussi  la  chasse  des  bestes  faunes  et  du  Œbier. 
Il  y  a  plusieurs  fontaines  d'eau  salée,  dont  Ton 
fait  de  très-beau  et  bon  sel.  La  quantité  des 
prairies  est  admirable  :  et  les  quatre  Saisons  y 
sont  comme  en  France,  sinon  que  l'Hyuer  n'y 
est  pas  si  long  ;  la  pesche  y  est  abondante, 
surtout  de  Saumon,  Esturgeon,  Barbue  et  An- 
guille, dont  il  y  a  des  quantitez  prodigieuses  : 
tous  ces  grands  Pays-là  sont  de  mesme. 

le  ne  parleray  point  du  Pays  des  Hurons, 
puisqu'il  est  abandonné  tant  des  François  que 
des  Saunages  qui  ont  esté  obligez  de  le  quit- 
ter, à  cause  des  Iroquois  :  le  Pays  est  très-beau 
et  bon,  presque  tout  déserté  comme  en  France, 
situé  sur  le  bord  du  grand  Lac,  qui  a  trois 


De  la  Novvelle- France. 


35 


cens  lieues  de  circuit,  et  qui  est  remply  dVn 
nombre  infiny  d'Isles  de  toutes  façons,  beau 
bois,  bonne  terre,  abondance  de  chasse  et  ae 
pesche  en  toute  saison,  THyuer  y  dure  quatre 
mois.  l'y  ay  veu  vue  pesche  qui  est  fort 
agréable,  qui  se  fait  aussi  bien  l'Hyuer  sous 
les  glaces  que  pendant  TEsté  ;  c'est  celle  du 
Haran,  dont  il  y  a  abondance.  Ce  qui  est 
encor  beau  à  voir  en  ce  Pays-là,  ce  sont  plu- 
sieurs petits  lacs  d'vne  lieue  et  de  deux  lieues 
de  tour,  qui  se  voyent  au  milieu  de  ces  terres 
defFrichées,  bordées  de  prairies  tout  à  l'entour, 
et  en  suitte  d'vn  petit  bois,  d'où  sortent 
quantité  de  Cerfs  qui  viennent  paistre  ;  de 
sorte  qu'allant  à  l'affust,  on  ne  peut  manquer 
de  faire  cx)up  ;  et  à  la  saison  vous  les  voyez 
tous  chargez  de  Gibier  de  riuiere.  Les  Coqs- 
^  d'Indes  et  autres  oyseaux  se  trouuent  dans 
les  (champs.  Mais  ie  ne  vous  veux,  et  ie  ne 


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36 


Mœvrs  et  Productions 


puis  pas  faire  la  description  de  tous  les  beaux 
lieux  de  ces  Pays-là,  ny  des  commoditez  qui 
S'Y  rencontrent,  estre  bref  comme  ie  pretens. 


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DESCRIPTION 


-DBS- 


TERRES  DONT  NOUS  AUONS  CONNUIIGE. 


le  crois  qu'il  n'est  pas  hors  de  propos  de^ 
vous  faire  icy  vne  petite  description  des  Ter- 
res dont  nous  auons  connaissance,  comme 
elles  sont  différentes  en  diuers  lieux,  soit 
pour  la  forme,  la  bonté  et  la  nature  de  la 
terre. 

le  ne  vous  parleVay  point  des  premières 
qu'on  rencontre  venant  de  France,  puisqu'elles 


De  la  Novvelle- France. 


37 


ne  valent  pas  la  peine  que  l'on  en  parle,  en 
comparaison  des  autres  :  à  proprement  parler, 
ce  ne  sont  pas  des  terres,  mais  de  grands  ro 
chers  horribles  à  voir. 

Depuis  risle  Percée  qui  est  l'embouchure 
du  fleuue  jusques  vis  à  vis  de  Tadoussac,  du 
costé  du  Sud,  que  les  nauires  fréquentent 
quand  ils  montent  à  Québec,  toutes  les  terres 
paroissent  hautes,  et  la  plupart  grandes  mon- 
tagnes :  c'est  ce  qui  a  donné  le  nom  aux 
Monts  Nostre-Dame,  qui  tiennent  vne  partie 
de  ce  chemin  là,  et  l'on  dit  qu'ils  ne  sont 
quasi  iamais  decouuerts  de  neige,  et  par  con- 
séquent inhabitables  :  ce  n'est  pas  qu'il  n'y 
ait  entre  les  dites  Montag-nes  et  Je  bords  du 
grand  Fleuue,  quatre,  cinq,  et  quelquefois 
huit  lieues  de  plat-pays,  et  que  tout  ce  Pays 
ne  soit  coupé  d'espace  en  espace  par  de  belles 
riuieres.  le  le  juge  toute  fois  fort  malpropre 


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Mœms  et  Productions 


pour  estre  hahité,  sinon  Gaspé  que  j 'estime 
fort  propre  à  faire  vne  habitation  :  c'est  vne 
Baye  qui  entre  dans  les  terres  assez  auant,  et 
qui  fait  vn  bassin  propre  à  mettre  les  Nauires 
à  l'abry. 

Dans  le  fond  de  la  Baye,  les  terres  parois- 
sent  fort  propres  à  habiter.  D'ailleurs,  il  y  a 
grande  pesche  Je  i\!]oluë  en  ces  quartiers-là. 

Il  y  a  aussi  trois  autres  beaux  Havres  dix 
ou  douze  lieues  au  dessous  sçauoir  :  l'Isle 
Percée,  Bonauenture  et  Miscou,  où  toutes  les 
années  des  Nauires  vont  à  la  pesche  de  la 
Moluë  en  tous  ces  Havres.  Ce  seroit  vn  lieu 
très-propre  pour  avoir  correspondance  auec 
Québec,  puisqu'on  y  va  facilement  auec  des 
Barques  et  des  Chalouppes. 

Là  au  droit  se  voit  l'Isle  d'Antieosti,  dont 
ie  ne  vous  parleray  pas,  n'y  ayant  point  esté, 
seulement  ay-je  ouy  dire  que  c'estoit  vne  fort 


De  la  Nowelle-Franee. 


89 


belle  terre,  aussi,  bien  que  la  coste  du  Nort, 
depuis  Tadoussac  descendant  en  bas,  dans 
laquelle  on  rencontre  quantité  de  belle  riuie- 
res,  bien  profondes  et  grandement  poisson- 
neuses ;  mais  surtout,  abondantes  en  Sau- 
mons ;  il  y  en  a  des  quantitez  prodigieuses, 
selon  le  rapport  que  m'en  ont  fait  ceux  qui  y 
ont  esté.  * 

Depuis  Tadoussac  jusques  à  sept  lieues  pro- 
che de  Québec,  que  l'on  nomme  le  Cap-Tour- 
mente, le  Pays  est  tout  à  fait  inhabitable, 
estant  trop  haut  et  tout  de  roche,  et  tout  a 
fait  escarpé.  le  n'y  ay  remarqué  qu'un  sevl 
endroit,  qui  est  la  Baye  St.  Paul,  enuiron  sur 
la  moitié  du  chemin,  et  vis-à-vis  l'Isle  aux 
Coudres,  qui  paroi t  fort  belle  lorsqu'on  y 
passe,  aussi  bien  que  toutes  les  Isles  qui  se 
trouuent  depuis  Tadoussac  jusques  à  Québec, 
lesquelles  sont  toutes  propres  à  estre  habitées. 


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40 


Mœvrs  et  Prodvdtom 


le  n*en  fais  point  de  description  en  particulier, 
n'ayant  dessein  que  de  vous  donner  qu'vne 
briefue  connoissance  de  tous  le  Pays,  et  de 
quelques  lieux  principaux. 

La  coste  du  Sud  depuis  Tadoussac  jusques 
à  Québec  est  fort  belle,  et  vne  terre  plus  basse 
et  qui  paroist,  par  les  arbres  dont  elle  est 
chargée,  estre  fort  bonne.  H  y  a  plusieurs  bel- 
les riuieres  toutes  remplies  de  poissons  et  de 
gibier  dans  la  saison  ;  il  se  trouue  de  belles 
prairies  le  long  de  la  coste,  qui  fait  qu'il  y 
a  quantité  de  bestes  faunes. 

Depuis  Québec  jusques  aux  Trois-Riuieres, 
du  mesme  costé  du  Sud,  les  terres  sont  assez 
belles,  et  il  y  a  d'assez  beau  bois  ;  mais  elles 
sont  éleuées  jusques  à  six  ou  sept  lieues  au 
dessous  des  Trois-Riuieres,  où  elles  commen- 
cent à  estre  basses,  belles,  vnies  :  et  cela  con- 
tinue jusques  dans  le  Pays  des  Iroquois.  Ces 


D^  la  Novvefle-France. 


41 


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terres  sont  parfaitement  bonnes,  entrecoupées 
de  riuieres,  garnies  de  lacs  par  endrois.  Quan- 
tité de  prairies  se  rencontrent  non  seulement 
le  long  du  fleuue,  à  l'entour  des  lacs  dans  ces 
petites  riuieres,  mais  encore  dans  les  terres  : 
ce  qui  fait  que  la  chasse  y  est  abondante, 
tant  d'Oyseaux  que  d'Animaux. 

Du  costédu  Nort,  depuis  le  Cap-Tourmente, 
qui  est  sept  lieues  plus  bas  que  Québec,  jus- 
ques  au  Cap-Kouge,  qui  est  trois  lieiias  au 
dessus  ;  cela  est  habité  le  long  du  grand 
fleuue  :  depuis  le  Cap-Eouge  jusques  à  la 
riuiere  Sainte  Anne,  qui  font  enuiron  dix-sept 
lieues  de  Pays  en  montant,  les  terres  y  sont 
assez  belles;  mais  l'abord  n'en  est  pas  si 
agréable,  à  cause  que  la  pluspart  de  la  coste 
est  pierreuse.  Il  ne  laisse  pas  de  s'y  trouver 
de  belles  riuieres,  et  des  prairies  par  endroits. 
Depuis  la  riuiere  Sainte  Anne  jusques  aux 


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Mœvrs  et  Prodvctions 


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Trois-Riuiores,  qui  contient  enuiron  dix  lieues 
de  Pays,  les  terres  y  sont  très-belles  et  basses  ; 
le  bordage  le  long  du  grand  fleuue  est  sable 
ou  prairies  ;  les  forests  y  sont  très-belles  et 
bien  aisé(»s  à  défricher. 

Depuis  Québec  jusques  aux  Trois-Eiuieres, 
il  n'y  a  point  d'Isles,  sinon  deux  petites  d'en- 
uiron  vne  lieuë  de  tour  chacune,  et  qui  sont 
proches  de  la  terre-ferme  du  costé  du  Nort  ; 
elles  se  nomment  l'Isle  Sainte  Anne  et  l'Isle 
Saint  Eloy. 

Depuis  les  Trois-Riuieres  jusques  au  Mont- 
Royal,  il  y  en  a  quantité  et  de  foit  belles,  et 
la  pluspàrt  n'ont  pas  encore  de  nom  ;  quel- 
ques-vues  des  principales  s'appellent  l'Isle 
Saint  Ignace,  auprès  de  laquelle  il  y  en  a 
prés  d'vne  vingtaine  que  l'on  appelle  les  Isles 
de  Richelieu.  le  ne  diray  rien  de  leurs  beautez, 
ny  de  la  grande  chasse  et  pesche  qui  s'y  ren- 


De  la  Novvelle- France. 


48 


contre  ;  ie  serois  trop  long  si  à  tous  les  en- 
droits j'en  voulais  faire  vue  déduction  ;  ie  me 
contentray  seulement  de  dire  que  les  prairies 
y  sont  abondantes. 

Il  croist  dans  les  bois  vne  quantité  prodi- 
gieuse d'ortyes  propres  à  faire  du  chanvre  ; 
les  Saunages  Hurons  et  Iroquois  s'en  seruént 
pour  faire  diuers  ouurages,  comme  des  sacs, 
rets,  colliers  et  armures  ;  il  s'en  trouue  gran- 
de quantité  en  beaucoup  d'endroits  de  ce 
Pays  icy. 

En  suite  se  void  d'autres  Isles,  que  l'on 
nomme  les  Isles  .Bouchard  ;  plus  haut  sont 
les  Isles  Saint  lean,  en  suite  les  Isles  Percées, 
risle  de  Sainte  Thérèse,  l'Isle  Saint  Paul,  et 
plusieurs  autres  qui  n'ont  point  encore  de  nom, 
toutes  très-belles  et  bien  commodes  pour  estre 
habitées,  et  qui  d'ailleurs,  sont  abondantes  en 
chasse,  pesche  et  prairies. 


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yiœvrs  et  Prouviiion.>. 


Saluant  la  coste  du  Nort,  le  Pays  est  très- 
beau,  et  tout  le  long  du  fleuue  se  sont  prai- 
ries ;  beaucoup  de  petites  riuieres  arrousent 
ces  terres. 

La  riuiere  des  Prairies  est  vne  grande 
•riuiere  qui  se  joint  au  fleuue  Saint  Laurent 
six  lieues  au  dessous  de  l'habitation  de  Mont- 
Eoyal,  vingt-quatre  lieues  au-dessus  des  Trois- 
Riuieres  ;  l'on  prend  cette  riuiere  pour  aller 
au  Pays  des  Hurons,  quoyque  le  chemin  en 
soit  beaucoup  plus  long  et  plus  mal-aisé  que 
l'autre,  pour  éuiter  les  Iroquois  qui  habitent 
sur  le  bord  du  grand  lac  qu'on  appelle  le  lac 
des  Iroquois,  par  où  passe  cette  grande  riuiere. 

le  ne  feray  point  la  description  des  terres 
qui  se  rencontrent  des  deux  costez  de  cette 
riuiere  qui  tire  au  Nort,  veu  qu'il  est  mal-aisé 
d'y^pouuoir  habiter  à  cause  des  sauts  au  cas- 
cades d'eaux  qui  s'y  rencontrent,  qui  empes- 
chent  la  riuiere  d'estre  nauigable  à  d'autres 
bastimens   qu'aux  petits  Vaisseaux  dont  se 


De  In  Novvel le- France. 


45 


sèment  nos  Sauuagos,  qui  peuuent  estro 
transportez  dVn  lieu  à  vn  autre,  sans  autre 
machine  que  les  épaules  dVn  homme,  on  do 
deux  au  plus.  C'est  bien  dommage  ;  car  il  y  a 
de  très-beaux  Pays,  et  qui  meriteroient  bien 
d'estre  habitez  :  mais  surtout,  vn  endroit 
appelé  la  Petite-Nation,  qui  est  enuiron  vingt 
ou  trente  lieues  au  dessus  du  Mont-Royal,  et 
qui  contient  presque  vingt  li<  aôs  de  Pays  le 
long  du  fleuue,  le  plus  beau  qui  se  puisse 
voir  pour  vn  Pays  non-habité  ;  car  les  Iroquois 
en  ont  chassé  les  Saunages  qui  y  habitoient. 
C'est  vn  beau  bois  remply  de  petits  lacs  et  de 
prairiefl,  auec  vn  fort  grand  nombre  de  petites 
riuieres  *  tout  cela  si  plain  de  chasse  et  de 
pesche,  qu'il  n'est  pas  croyable  :  mais  ce  qui 
est  le  plus  admirable,  c*est  le  grand  nombre 
de  bestes  faunes  qui  s'y  rencontre  ;  car  ie 
sçay  qu'il  y  a  eu  de  nos  François  qui  en  des- 
cendant des  „Hurons,  ont  fait  rencontre  de 
bandes  de  ces  animaux,  qu'on  appelle  icy  va- 
ches saunages,  qui  sont  proprement  de  grands 


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Mœvn  et  Prodvctions 


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Cerfs,  où  ils  estimoient  qu'il  y  en  auoit  bien 
huit  à  neuf  cens,  sans  parler  des  vrais  Cerfs, 
des  Ours,  Elans,  Castors,  Loutres,  Rats 
musquez,  et  plusieurs  autres  sortes  d'Ani- 
maux :  mais  la  porte  en  est  fermée,  par  vn 
grand  sault  qui  a  pour  le  moins  trois  lieues 
de  long  :  quand  ie  dis  fermée,  c'est  pour  le 
présent  ;  car  quand  le  Pays  sera  habité,  et 
que  les  Iroquois  seront  soubmis,  on  trouuera 
bien  l'inuention  de  s'en  rendre  l'entrée  facile  : 
et  puis  on  ne  manque  pas  de  beaux  lieux  à 
habiter,  qui  ne  peuuent  pas  estre  occupez 
d'icy  à  bien  long-tems.  En  voila  ce  me  semble 
assez  pour  connoistre  le  Pays  ;  disons  seule- 
ment vn  petit  mot  du  terroir  :  il  s'y  trouue 
de  la  terre  glaise  par  endroits.  La  terre  est 
noire,  sablonneuse,  rouge,  pierreuse  en  d'au- 
tres endroits  ;  mais  toutes  sont  assez  fertiles  : 
et  pour  prenne  de  cela,  ie  feray  le  Chapitre 
suiuant  des  arbres  qu'elle  produit. 


i 


DES  ARBRES  QUI  CROISSENT 


DANS  LA 


NOUUELLE-FEANCE. 


ORAPZTBE  XV. 

le  vois  bien  que  le  Lecteur  curieux  deman- 
de desia  quels  sortes  d'arbres  croissent  dans 
ces  grandes  forests,  et  si  ce  sont  touiours  les 
lî^esmes  partout  ;  à  quoy  sont-ils  bons  ?  s'en 
peut-on  seruir  à  quelques  choses  ?  sont-ils 
gros  ?  sont-ils  hauts  ?  le  bois  est-il  sain  ?  A 
toutes  ces  questions,  mon  cher  Lecteur,  ie 
vous  y  répondray,  vous  en  faisant  k  doscrip- 


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48 


Mœvn  et  Prodvdions 


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tion  la  plus  naïfue  que  ie  pourray,  et  auec 
toute  la  sincérité  possible,  tâchant  de  fuyr 
toutes  exaspérations,  comme  j^ay  fait,  et  comme 
j'espère  de  faire  dans  tout  le  reste  de  mon 
discours  :  eif  suitte  vous  jug-eray  à  quoy  ils 
sont  propres  et  ce  qu'on  en  pourra  faire.  le 
n'y  .«^arderay  point  d'ordre  :  îe  les  nommeray 
c^mme  ils  me  viendront  en  la  mémoire  ;  ie 
commenceray  par  vn,  qui  est  le  plus  utile  icy, 
que  l'on  nomme  Pin,  qui  n'apporte  pas  de 
fruit  comme  ceux  de  l'Europe  ;  il  y  en  a  de 
toutes  g'rosseurs  et  grandeurs  ;  ils  viennent 
ordinairement  de  la  hauteur  de  cinquante  à 
soixante  pieds,  sans  branches  r  l'on  s'en  sert 
pour  faire  de  la  planche,  qui  est  fort  belle  et 
bonne  ;  et  l'on  dit  que  ces  arbres  seroient 
bi(Mi  propres  k  faire  des  masts  de  Nauires.  Il 
s'en  tvouue  d'assez  menu  et  haut  pour  cet 
effi't  :  p<»s  arbres  sont  forts  droits  :  il  y  a  d(? 


IHlili 


De  la  Nowelle-Prame. 


49 


^ands  Pays  qui   n'en  portent  point  :  mais 
les  lieux  où  ils  naissent  sont  appelez  Pinieres. 

Ces  arbres  rendent  quantité  de  gomme  ; 
les  Saunages  s'en  seruent  pour  brayer  leurs 
canots,  et  on  s'en  sert  heurrusement  pour  les 
playes,  où  cette  gomme  est  fort  souueraine. 

Il  croist  aussi  des  Cèdres,  le  bois  en  est  fort 
tendre,  il  a  la  fueille  platte,  et  le  bois  est  quasi 
comme  incorruptible  :  c'est  pourquoy  on  s'en 
sert  icy  pour  faire  les  clostures  des  jardins,  et 
les  poutres  de  caues  :  il  sent  assez  bon  ;  mais 
d'ordinaire  les  arbres  ne  sont  pas  sains  :  ce- 
pendant il  s'en  trouue  plusieurs  gros  qui 
pourroient  seruir  à  faire  du  meuble  ;  il  rend 
vue  gomme,  qui  estant  brûlée,  a  vne  très- 
bonne  odeur  comme  de  l'encent.  le  ne  sache 
pas  qu'elle  aye  d'autre  qualité. 

Il  y  a  des  Sapins  comme  en  France  :  toute 
la  différence  que  j'y  trouue,  c'est  qu'à  la  plus- 


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50 


Mœvrs  et  Prodvctiom 


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part  il  y  vient  des  bubons  à  Técorce,  qui  sont 
remplies  dVne  certaine  gomme  liquide  qui 
est  oromatiqne,  dont  on  se  sert  pour  les  playes 
comme  de  baumes,  et  n'a  pas  gueres  moins 
de  vertu,  selon  le  rapport  de  ceux  qui  ont 
fait  l'expérience  :  on  en  dit  plusieurs  autres 
mais  ie  laisse  cela  aux  Médecins. 

Il  y  a  vne  autre  espèce  d'arbre,  qu'on  nom- 
me Epinette  :  c'est  quasi  comme  du  Sapin, 
sinon  qu'il  est  plus  propre  à  faire  des  masts  de 
petits  Vaisseaux,  comme  des  chalouppes  et 
barques,  estant  plus  fort  que  le  Sapin.  le 
parle  de  l'Espinette  verte  :  car  il  y  en  a  de 
deux  sortes  ;  l'vne  verte,  et  l'autre  rouge. 

L'Epinette  rouge  est  d'vn  bois  plus  ferme 
et  plus  pesant,  et  fort  propre  à  bastir  ;  elle  se 
dépouille  de  ses  fueilles  en  Automne,  et  les 
reprend  au  Printemps  :  ce  qui  n'arriue  point 


De  la  Nowelle-France. 


61 


aux  autres  sapinages.  L'escorce  eu  est  rouge  ; 
il  ne  rend  pas  quasi  de  gomme,  tout  au  con- 
traire de  TEpinette  verte  qui  en  a  quantité. 

Il  y  a  encore  vue  autre  espèce  que  Ton  ap- 
pelle Prusse  ;  ce  sont  ordinairement  de  gros 
arbres  qui  ont  trente  ou  quarante  pieds  de 
haut  sans  branches  :  ils  ont  vue  grosse  écorce 
et  rouge  :  ce  bois  ne  pourrit  pas  si  facilement 
que  les  autres  ;  c*est  pourquoy  on  s'en  sert 
ordinairement  pour  bastir.  Ce  qu'il  y  a  de 
mal  dans  ce  bois,  c'est  qu'il  s'en  trouue  quan- 
tité de  rouillé,  ce  qui  le  fait  rebuter.  De  celuy- 
là  il  en  vient  par  tout,  en  bonne  et  mauuaise 
terre  :  il  ne  produit  point  de  gomme. 

Il  faut  remarquer  que  tous  les  sapinages  ne 
croissent  que  dans  des  lieux  humides,  à  la 
reserue  des  Pins  et  Prusses,  qui  viennent 
aussi  bien  aux  lieux  secs  qu'aux  lieux  hu- 
mides. 


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52 


Mœvrs  et  Prodvetions 


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Il  y  a  vne  autre  espèce  d^arbre  qu'on  ap- 
pelle Herable,  qui  vient  fort  gios  et  haut  :  le 
bois  en  est  fort  beau,  nonobstant  quoy  on  mi 
s'en  sert  à  rien  qu'à  brûler,  ou  pour  emman- 
cher des  outils,  à  quoy  il  est  très-propre,  à 
cause  qu'il  est  extrêmement  doux  et  fort. 
Quand  on  entaille  ces  Herables  au  Printemps, 
il  en  dégoûte  quantité  d'eau,  qui  est  plus 
douce  que  de  l'eau  détrempée  dans  du  sucre  ; 
du  moins  plus  agréable  à  boire. 

L'arbre  appelé  Merisier,  dénient  -gros  et 
haut,  bien  droit.  Son  bois  sert  à  faire  du 
meuble,  et  a  monter  des  armes.  Il  est  rouge 
dedans,  et  est  le  plus  beau  pour  les  ouurages 
qu'il  y  ait  en  ces  quartiers.  11  ne  porte  aucun 
fruit. 

On  l'a  nommé  Merisier,  parce  que  son 
écorce  est  semblable  aux  Merisiers  de  France. 


De  la  Novaelle- France. 


53 


Il  y  a  aussi  du  bois  de  Hestre,  fort  beau  et 
bon,  qui  porte  de  la  fay ne  comme  en  France  : 
mais  Ton  ne  s'en  sert  qu'à  brûler. 

Il  se  trouue  de  deux  sortes  de  Chesnes; 
l'vn  est  plus  poroux  que  l'autre.  Le  poreux 
est  propre  pour  faire  du  meuble,  et  autre 
trauaille  de  menuzerie  et  de  charpente  : 
l'autre  est  propre  à  faire  des  Vaisseaux  pour 
aller  sur  l'eau  :  ces  arbres  viennent  hauts, 
gros,  et  droits,  et  surtout  vers  le  Mont-Royal. 

Il  y  a  aussi  de  deux  sortes  de  Fresne,  l'vn 
appolé  franc-Fresne,  et  l'autre  Fresne-bastard  : 
Ce3  arbres  viennent  bien  hauts  et  bien  droits, 
le  boiis  en  est  fort  beau  et  bon. 

Il  y  a  des  Ormes  qui  viennent  fort  gros  et 
hauts,  le  bois  en  est  excellent,  et  les  Charrons 
de  ce  Pays  s'en  seruent  fort. 

Il  y  a  des  noyers  de  deux  sortes,  qui  appor- 
tent des  Noix:  les  vns  les  apportent  grosses  et 


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54 


Mœurs  et  Prodvctions 


dures  ;  mais  le  bois  de  l'arbre  est  fort  tendre, 
et  Ton  ne  s'en  sert  point,  sinon  à  faire  des  sa- 
bots, à  quoy  il  est  fort  propre  :  de  celuy-là  il 
y  en  a  vers  Québec  et  les  Trois-Riuieres  en 
quantité  :  mais  peu  en  montant  plus  haut  ; 
l'autre  sorte  de  Noyers  apporte  des  petites 
noix  rondes,  qui  ont  l'éeale  tendre  comme 
celle  de  France  ;  mais  le  bois  de  l'arbre  eut 
fort  dur,  et  rouge  dedans  :  on  commence  d'en 
trouuer  au  Mont-Eoyal,  et  il  y  en  a  quantité 
dans  le  pays  des  ^Iroquois.  Les  Saunages 
mesmes  se  seruent  des  Noix  à  faire  de  l'huile, 
laquelle  est  excellente. 

Vne  autre  espèce  d'arbre,  qu'on  appelle  de 
la  Plaine,  est  quasi  comme  l'Herable  ;  mais 
vn  peu  plus  tendre,  qui  sert  à  brusler. 

Il  y  a  du  BouUeau,  dont  les  arbres  viennent 
fort  gros  et  hauts  ;  nos  Saunages  se  seruent 
de  l'écorce   pour  faire  leurs  canots,  et  pour 


1!!!!' 


De  la  Nowelle-France. 


66 


coiiurir  leurs  cabanes  portatiues  ;  cela  se  rou- 
lant comme  vn  tableau,  on  le  déroule  et  on 
retend  sur  deux  ou  trois  perches  plantées  en 
terre,  et  on  se  met  à  l'abry  là  dessous,  comme 
on  leroit  sous  vne  tente  ;  les  Saunages  en 
font  encore  des  plats  et  autres  petits  vais- 
seaux à  leurs  vsages  ;  le  bois  en  est  fort  beau 
et  bien  «ain,  mais  on  ne  s'en  sert  à  rien  icy. 

Il  se  trouue  aussi  du  Tremble  de  toutes 
façons  ;  c'est  à  dire,  gros  et  petit,  qui  sert  à 
la  nourriture  des  Castors  qui  en  ayment  fort 
Técorce. 

Il  y  a  d'autres  arbres  appelez  Bois-blanc, 
que  quelques  vns  appellent  Tillot  ;  le  bois  en 
est  blanc  et  bien  tendre,  qui  pourrit  facilement 
à  Veau  :  l'escorce  sert  à  nos  Saunages  en  beau- 
coup d'vsages  ;  car  celle  des  plus  gros  arbres 
leur  sert  à  faire  vne  espèce  de  tonneau,  dans 
lequel  ils  mettent  leur  grain  et  autres  choses. 


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56 


Mœvrs  et  Prodrctions 


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L'escorce  des  petits  leur  sert  à  lier,  et  mes- 
me  ils  en  font  vn  chanvre,  duquel  ils  se  ser- 
uent  pour  faire  des  cordages. 

Il  y  a  des  Chattagniers  et  des  Meuriers.  qui 
se  trouuent  seulement  dans  le  pays  des 
Iroquois  :  pour  les  Chattagniers,  il  y  en  a  en 
abondance,  et  qui  raportent  du  fruit  aussi 
bon  que  ceux  de  France  :  les  arbre^  en  sont 
beaucoup  plus  gros  et  plus  grand. 

Il  se  void  quantité  d'autres  arbres  au  dit 
Pays  d(^8  Iroquois,  qui  no  sont  point  icy  dans 
noscartiors,  et  dont  ;  ie  ne  sçay  pas  le  nom  seu- 
lement sçay-je  bien  qu'il  y  en  a  qui  ont  le 
bois  rouge  et  fort  propre  à  faire  du  meuble. 

Il  y  a  aussi  en  ces  quartiers  abondance  de 
Coudriers,  qui  raportent  force  noisettes, 
sureau,  épine  blanche,  qui  apportent  des 
fruits  plus  gros  qui'  ceux  de  France,  et  d'vn 
bien  meilleur  goust  ;  Pruniers  qui  apportent 


De  la  Nowelle-France, 


5t 


des  prunes  roug*es  de  la  grosseur  du  Damas, 
et  qui  sont  dVn  assez  bon  goust,  mais  non 
pas  toutes  fois  si  bon  que  celles  de  France. 

Il  y  a  des  Saules  et  des  Aulnes  en  abon- 
dance. 

Il  s'y  trouue  des  Groseliers,  qui  apportent 
des  groseilles  de  deux  sortes  ;  les  vnes  comme 
en  France,  les  autres  toutes  plaines  de  pique- 
rons. 

n  y  a  des  Gadeliers  ou  Groseilles  rouges. 

Il  y  a  de  petits  arbres  que  Ton  appelle 
Merisiers,  qui  apportent  de  deux  ou  trois  sor- 
tes de  petits  fruits  :  le  goust  n'en  est  pas  dé- 
sagréable ;  mais  ils  sont  bien  petits  ;  les  ar- 
bres ne  deuiennent  iamais  gros. 

Il  y  a  encore  d'autres  petits  fruitiers  sem- 
blables, qui  ne  valent  pas  la  peine  d'en  pi  rler, 
pour  n'estre  pas  considérables. 


58 


Mœvrs  et  Prodvdions 


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Puisque  ie  suis  sur  les  fruitiers,  ie  n'obmet- 
trez  pas  à  vous  parler  des  Framboisiers  et 
Fraisiers,  qui  sont  en  tout  ce  Pays  en  si  grande 
abondance,  qu'il  n'est  pas  croyable  ;  toutes 
les  terres  en  sont  remplies,  et  cela  vient  par 
dépit  :  cependant,  ils  produisent  vne  si  grande 
quantité  de  fruits,  que  dans  la  saison  on  ne 
les  peut  épuiser  :  elles  viennent  plus  grosses 
et  de  meilleur  goust  qu'en  France. 

Il  se  trouue  d'vne  autre  sorte  de  petits 
fruits,  gros  comme  de  gros  pois,  ils  s'appellent 
Bluets,  et  sont  d'vn  excellent  goust  :  l'arbre 
qui  les  produits  n'a  pas  plus  d'vn  pied  de 
hput  :  ils  ne  croissent  pas  partout  ;  mais  il  y 
a  des  endroits  où  il  y  en  a  grande  quantité. 

Les  Eonces  de  ce  Pays  produisent  vn  f  *'^ 
qui  est  quasi  d'aussi  bon  goust  que  nos  mi  ti- 
res de  France  ;  il  n'est  pas  si  gros. 

Il  y  a  quantité  de  petits  fruits  dont  ie  ne 


De  la  Nowelle-France. 


59 


sçay  pas  les  noms,  et  qui  ne  sont  pas  beau- 
coup exquis,  mais  se  mangent  faute  d'autres. 

Il  y  a  aussi  abondance  de  Vignes  saunages, 
qui  portent  des  raisins  :  le  grain  n*en  est  pas 
si  gros  que  celui  de  nos  Vignes  de  France,  ny 
les  grappes  si  fournies  :  mais  ie  croy  que  si 
elles  estoient  cultiuées,  elles  ne  differeroient 
en  rien  :  le  raisin  en  est  vn  peu  acre,  et  fait 
de  gros  vin,  qui  tache  beaucoup,  et  qui  d'or- 
dinaire est  meilleur  vu  an  après,  que  Tannée 
qu'il  est  fait. 

Quelques  particuliers  ont  planté  quelques 
pieds  de  Vigne  venue  de  France  dans  leurs 
jardins,  qui  ont  rapporté  de  fort  beaux  et 
bons  raisins.  • 

On  n'a  point  encore  planté  icy  d'arbres  de 
France,  sinon  quelques  Pommiers  qui  rappor- 
tent de  fort  bonnes  pommes  et  en  quantité, 
mais  il  y  a  bien  peu  de  ces  arbres. 


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Noms  des  Animm  qui  se  rencontrent 


AU  PAYS  DE 


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La  Nouuelle-France. 


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OKAVZnUi  V. 

Pour  satisfaire  à  la  promesse  que  j'ay  faite 
daixs  mon  premier  Chapitre,  de  traiter  de  cha- 
que «hose  en  particulier  :  le  vous  feray  ce 
Chapitre  du  nom  deb  Animaux,  et  des  lieux 
où  ils  se  rencontrent  d'ordinaire  ;  car  comme 
vous  sçauez,  toutes  les  choses  ne  son^  pas  en 
vn  mesme  endroit.   Par  ce  moyen,  ie  vous 


I  vil;! 


De  la  Nowelle- France. 


61 


osteray  la  coufusion  qu'on  peut  auoir  dans 
l'esprit,  prenant  les  choses  en  gros  ou  en  gê- 
nerai. 

Commençons  donc  par  le  plus  commun  et 
le  plus  vniuersel  de  tous  les  Animaux  de  ce 
Pays,  qui  est  l'Elan,  qu'on  appelle  en  ces  quar- 
tiers icy  Orignal  :  ils  sont  plus  grands  d'ordi- 
naire que  de  grands  Mulets,  et  ont  à  peu  prés 
la  teste  faite  de  mesme.  La  différence  qu'il  y 
a,  (î'est  que  les  masles  portent  des  bois  four- 
chus comme  celuy  des  Cerfs  sinon  qu'ils 
sont  plats.  Ils  leur  tombent  tous  les  ans,  et 
croissent  tous  les  ans  d'vn  fourchon.  La  chair 
en  est  bonne  et  légère,  et  ne  fait  iamais  de 
mal.  La  peau  se  porte  Cm  France  pour  la  faire 
passer  en  buffle,  la  mouelle  est  medecinale 
contre  les  douleurs  de  nerfs.  L'on  dit  que  la 
corne  du  pied  gauche  est  bonne  pour  le  mal 
(•adu(î  :  (t'est  vu  animal  bicMi  haut  sur  jambe 


62 


Mœvrs  et  Prodv  lions 


et  bien  dispos  :  il  a  le  pied  fendu  :  il  est  sans 
queue  ;  il  se  defFend  des  pieds  de  deuant 
comme  les  cerfs. 

Le  Caribou  est  vn  animal  de  la  hauteur 
enuiron  dVne  Asne,  mais  qui  est  fort  dispos. 
Le  masle  a  le  pied  fourchu,  et  Touure  si  large 
en  courant,  qu'il  n'enfonce  point  l'Hyuer 
dans  les  neiges  quelques  hautes  qu'elles  puis- 
sent estre.  Il  porte  vn  bois  fourchu,  rond  et 
bien  pointu.  La  chair  en  est  bonne  à  manger, 
et  délicate. 

L'Ours  est  de  couleur  noire,  et  n'y  en  a 
point  de  blancs  en  ces  quartiers.  La  peau  des 
petits  est  estimée  pour  faire  des  manchons.  Ils 
ne  sont  point  mal-faisans  si  on  ne  les  irrite  : 
la  viande  en  est  bonne  à  manger  :  la  graisse 
fondue  dénient  comme  de  l'huile,  et  est  bonne 
contre  les  humeurs  froides.  Il  est  six  mois  sans 
sortir  des  lieux  où  il  se  tient  ca<*hé  :  il  se  re* 


De  la  Nowelte-France. 


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.Ils 

rite  : 

aisse 

onue 

sans 

■se  re- 


tire dans  des  creux  d'arbres  pour  l'ordinaire  : 
il  ayme  beaucoup  le  gland,  de  la  vient  qu'il 
y  en  a  si  grande  abondance  allant  au  Pays 
des  Iroquois  :  il  est  carnassier,  tue  les  co- 
chons pour  les  manger  quand  il  en  attrappe  à 
l'écart. 

Les  Animaux  qu'on  appelle  icy  Vaches  sau- 
nages, sont  espèce  de  Cerfs  :  les  masles  por- 
tent des  bois  tout  semblables,  et  quittent 
leurs  bois  tous  les  ans  :  ils  ont  le  pied  four- 
chu ;  ils  sont  grands  comme  de  grands  Cerfs, 
la  viande  en  est  délicate,  et  ces  Animaux 
vont  ordinairement  par  bandes,  et  ne  se  ren- 
contrent pas  partout.  On  n'en  void  point  au 
dessous  des  Trois-Riuieres,  mais  bien  au  des- 
sus ;  plus  on  monte  en  haut  vers  les  Iroquois, 
et  plus  il  y  eu  a. 

11  y  a  aussi  des  Animaux  qu'on  appelle 
(>erfs,  qui  sont  de  la  mesme  façon  que  ceux 


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«4 


Mœvrs  et  Prodvdions 


de  France  à  la  reserue  qu'ils  sont  plus  petits, 
et  d'un  poil  plus  blanchastre.  De  ceux  là  il  ne 
s'en  trouue  pas  au  dessous  du  Mont  Royal, 
mais  bien  au  dessus  ;  montant  plus  haut,  il  y 
en  a  sans  nombre. 

Quant  est  des  Animaux  qu'on  appelle 
Bulles,  il  ne  s'en  trouue  que  dans  le  pays  des 
Outaouak,  enuiron  à  quatre  ou  cinq  cens 
lieues  de  Québec,  tirant  vers  l'Occident  et  le 
Septentrion. 

Il  y  a  des  Loups  de  deux  sortes,  les.  vns 
s'appellent  Loups  Ceruiers,  dont  la  peau  est 
excellente  à  faire  des  fourures.  Ces  Animaux 
abondent  du  costé  du  Nort,  et  il  s'en  trouue 
peu  proche  nos  habitations;  les  autres  sont 
Loups  communs,  qui  ne  sont  pas  du  tout  si 
grands  que  ceux  de  France,  ny  si  malins,  et 
ont  la  pcMU  plus  belle  :  ils  ne  laissent  pas 
d'estn^    carnassiers,    et    font    la    guerre    aux 


m 


De  la  Nowelle-France. 


65 


Animaux  dans  les  bois  :  et  quand  ils  trouuent 
de  nos  petits  chiens  à  l'écart,  il  les  mangent. 
Il  y  en  a  peu  vers  Québec.  Ils  sont  plus  com- 
muns à  mesure  que  l'on  monte  en  haut. 

Il  y  a  aussi  quantité  de  Eenards  par  tout 
le  Pays  :  comme  ie  ne  trouue  point  qu'il  y 
ait  de  différence  auec  ceux  de  France,  ie  n'en 
parleray  point  :  sinon  qu'il  s'en  trouue  quel- 
quefois de  noirs,  mais  bien  rarement. 

Il  y  a  vn  autre  sorte  d'animal  plus  petit 
qu'vn  Renard,  qui  monte  sur  les  arbres  :  on 
l'appelle  Enfant  du  Diable  ;  il  est  extrême- 
ment carnacier,  et  il  a  l'industrie  de  tuer  des 
Elans  :  la  chair  en  est  bonne. 

Il  y  a  aussi  quantité  de  Martres  ;  mais  elles 
sont  toutes  rousscis,  et  il  ne  s'en  void  point 

de  noires. 

Il  y  a  d'autres  Animaux  que  l'on  appelle 
des  Chats  saunages,  quoy  qu'ils  ne  ressem- 


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66 


Mœws  et  Productions 


blent  gaeres  aux  autres  Chats  ;  mais  c'est  à 
cause  qu'ils  grimpent  aux  arbres  :  ils  sont 
plus  gros  beaucoup  que  les  nostres  :  ils  sont 

d'ordinaire  extrêmement  gras,  la  viande  en 
est  bonne  :  les  Saunages  se  seruent  de  la  peau 
pour  en  faire  des  robes. 

Il  y  a  des  Porcs-Epics.  Les  Saunages  se 
seruent  du  poil  qui  est  fort  gros,  creux  et 
pointu  par  les  deux  bouts,  pour  faire  diuers 
petits  ouurages  qui  leur  seruent  d'ornemens 
parmy  eux,  comme  les  passemeus  parmy  nous  : 
la  Aâande  de  cet  animal  est  bonne. 

Il  y  a  vn  autre  animal  vn  peu  plus  petit, 
qu'on  nomme  Sifleur  :  il  loge  en  terre  et  fait 
vne  tanière  comme  le  renard  :  la  viande  en  est 
aussi  bonne. 

Il  y  a  quantité  de  Lièvres,  ils  ne  sont  pas 
si  grands  que  ceux  de  France.  Ce  qui  est  re- 
marquable, c'est  qu'en  Esté  ils  sont  gris,  et 


De  la  Nowelle-France. 


67 


l'Hyuer  ils  sont  blancs  :   ainsi  ils  changent 
deux  fois  de  couleur  l'année. 

Il  y  a  d'autrr»s  animaux  que  Ton  appelle  Bes- 
te  puante.  Cet  animal  ne  court  pas  viste  : 
quand  il  se  void  poursuiuy,  il  vrine  :  mais  cette 
vrine  est  si  puante,  qu'elle  intecte  tout  le  voisi- 
nage, et  plus  de  quinze  iours  ou  trois  semaines 
après,  on  sent  encore  Todeur  approchant  du 
lieu.  Cet  animal  étrangle  les  poules  quand  il 
les  peut  atraper. 

Il  y  en  a  vne  autre  espèce  d'animaux  qui 
leur  font  la  guerre,  qui  sont  beaucoup  plus 
petits,  que  Ton  nomme  Pescheurs,  parce  qu'ils 
ront  dans  le  fond  de  l'eau  comme  à  terre. 

Il  y  a  quatre  sortes  d'Escurieux,  les  vus 
sont  roux  comme  ceux  de  France  ;  d'autres 
sont  plus  petits,  et  ont  deux  barres  blanches 
et  noires  tout  le^ong  du  dos  ;  on  les  nomme 
Escurieux  Suisses  :  il  y  en  a  d'vne  troisième 


\\l 


68 


Mœvrs  et  Productions 


sorte  qui  sont  gros  et  cendrez,  qu'on  appelle 
Escurieux  Volans,  parce  qu'ils  volent  en  effet 
d'vn  arbre  sur  l'autre,  par  le  moyen  de  certai- 
nes peaux  qui  s'estendent  lorsqu'ils  ouurent 
les  pâtes  :  ils  ne  volent  iamais  en  montant 
comme  les  oyseaux,  mais  droit  ou  en  descen- 
dant ;  ils  sont  beaux  et  mignons  :  la  quatrième 
espèce  sont  des  Escurieux  noirs  ;  ils  sont  plus 
gros  que  tous  les  autres  :  la  peau  en  est  très- 
belle,  et  les  Saunages  s'en  seruent  à  faire  des 
robes  :  cet  animal  est  joly  et  curieux  ;  mais  il 
ne  s'en  trouue  que  dans  le  pays  des  Iroquois. 

Apres  cela  nous  parlerons  des  Animaux 
Amphibies,  qui  viuent  et  dans  l'eau  et  sur 
terre,  comisne  Castor,  Loutre,  et  Rat  musqué. 

Le  Castor  ou  Biévre  est  vn  animal  qui  a  les 
jambes  fort  courtes,  vit  dans  l'eau  et  sur  terre  : 
il  a  vne  grande  queue  platte,  dont  la  peau  est 
en  façon  d'écaillé  :  vous  sçauez  que  le  poil 


De  la  Naiwelle-France, 


69 


sert  à  faire  des  chapeaux,  et  c'est  le  grand 
traffic  de  ce  Pays-icy. 

Ces  animaux  multiplient  beaucoup  ;  la 
chair  en  est  délicate  comme  celle  de  mouton  : 
les  testicules  sont  recherchez  par  les  Apoti- 
caires.  Cet  animal  tout  grossier  qu'il  est  a  vne 
merueilleuse  industrie,  non  seulement  à  se 
loger  dans  l'eau  et  dans  terre,  mais  surtout  a 
bastir  des  digues  :  car  ils  ont  l'addresse  d'ares- 
ter  les  petites  riuieres,  et  de  faire  des  chaus- 
sées que  l'eau  ne  peut  rompre,  et  font  par  ce 
moyen  noyer  vn  grand  Pays  qui  leur  sert 
d'Estang  pour  se  jouer,  et  pour  y  faire  leur 
demeure.  Les  Saunages  qui  vont  à  la  chasse, 
ont  toutes  les  peines  du  monde  à  rompre  ces 
digues.  Les  Castors  qui  sont  du  costé  du  Nort 
valent  bien  mieux,  et  le  poil  en  est  plus  ex- 
cellent que  de  ceux  du  costé  du  Sud. 

Pour  les  Loutres  ils  se  trouuent  d'ordinaire 


Sj! 

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■ 


70 


Mœvrs  et  Peoivdions. 


dans  les  lacs  ;  il  y  en  a  quelques-vns  qui  ont  la 
peau  assez  belle. 

#  Le  Rat  musqué  est  vn  animal  qui  vit  dans 
l'eau,  et  qui  est  asseurément  estimé  pour  les 
testicules  qui  sentent  le  musc  pendant  deux 
mois,  qui  est  le  tems  qu'ils  sont  en  chaleur, 
sçauoir  Auril  et  May  :  leur  peau  ressemble  à 
celle  d'vn  Lapin,  tant  pour  la  couleur  que 
pour  la  grandeur  ;  la  chair  en  est  bonne. 

Il  y  a  aussi  des  Belettes,  Mulots,  Taupes,  et 
Souris  :  Voila  pour  ce  qui  est  des  animaux  du 
Pays.  Voicy  le  nom  de  ceux  que  l'on  amené 
de  France,  des  Bœufs  et  des  Yaches  :  les 
Bœufs  seruent  à  labourer  la  terre,  et  à  trainer 
du  bois  l'Hyuer  sur  les  neiges.  Des  Cochons 
en  grand  nombre  :  des  Moutons  il  y  en  a  peu  : 
des  Chiens,  des  Chats,  et  des  Bats.  Voila  les 
animaux  que  Ton  nous  a  amené  de  France, 
qui  font  bonne  fin  en  ce  Pays-icy. 


De  la  Nawelle- France. 


71 


Apres  auoir  parlé  de  tous  les  animaux  qui 
sont  dans  le  Pays,  disons  vn  mot  des  Reptiles 

qui  s'y  trouuent. 

Il  s'y  void  des  Couleuures  de  plusieurs  sor- 
tes :  il  y  en  a  qui  ont  la  peau  émaillée  de 
blanc  et  de  noir  ;  d'autres  de  jaune  et  de  verd  : 
elles  ne  sont  pas  mal-faisan  tes,  du  moins  on 
ne  s'en  est  pas  encore  apperceu  :  les  plus  lon- 
gues sont  enuiront  d'Anne  aulne  ;  mais  il  y  a 
peu  de  si  longues.  Plus  on  va  en  haut,  plus  il  y 

en  a. 

Dans  le  Pays  des  Iroquois,  il  y  en  a  d'vne 

autre  sorte  que  l'on  appelle  des  Couleuures  à 

sonnettes  ;   celles-là   sont   dangereuses,   elles 

mordent   quelquefois    les   Sauuages,  qui   en 

mourroient  en  peu  de  temps,  n'estoit  la  con- 

noissance   d'vne   herbe   qu'ils   ont,    laquelle 

croist  en  ce  Pays,  qui  estant  appliquée  sur  la 

blessure  en  forme  de  cataplasme,  en  tire  tout 

le  venin. 


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12 


Mœurs  et  Prodvctkms, 


Il  y  a  des  Ijezards  et  autres  petits  animaux 
semblables:  des  Crapaux,  mais  ie  n'en  ay 
jamais  veu  de  si  gros  en  France. 

Il  y  a  des  Grenouilles  de  plusieurs  sortes  ; 
j'en  ay  veu  de  trois,  sçauoir  les  rnes  aussi 
grosses  que  le  pied  dVn  cheual,  qui  sont  ver- 
tes et  se  trouuent  sur  le  bord  du  grand  Fleu- 
ue  ;  elles  meuglent  le  soir  comme  vn  Bœuf, 
et  plusieurs  de  nos  nouueaux  venus  y  ont 
esté  trompez,  croyans  entendre  des  Vaches 
saunages  ;  ils  ne  vouloient  pas  croire  quand 
on  leur  disoit  que  c'estoit  des  grenouilles,  on 
les  entend  d'vne  grande  lieuë.  Les  Saunages, 
Hurons,  les  mangent,  et  disent  qu'elles  sont 
fort  bonnes. 

Il  y  en  a  d'autres  semblables  à  celles  de 
France,  et  c'est  de  celles-là  qu'il  y  en  a  le  plus 
grand  nombre. 

l'en  ay  veu  d'vne  troisième  sorte,  qui  sont 


Le  la  Nowelle-France. 


73 


toutes  comme  les  grenouilles  communes,  sinon 
qu'elles  ont  vne  queue  :  ie  n'ay  iamais  veu  de 
celles-là  qu'en  vn  seul  endroit,  le  long  d'vne 
petite  riuiere  ;  mais  j'en  vis  plus  d'vn  cent. 


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NOMS  DES  OYSEAUX  QUI  SE  VOYENT 


-EN  LA 


NOUUELLE  FRANCE. 


-;o:- 


CHAPZTSE  VZ. 


-:o:- 


En  vous  mettant  le  nom  des  oyseaux  qui 
sont  dans  ce  Pays,  ie  ne  vous  parleray  point 
de  ceux  qui  se  rencontrent  à  l'entrée  du  Gol- 
fe, comme  Cormorans,  Tangueux,  Fauquets, 
Poules  d'eau,  G-riseaux,  et  vne  infinité  d'au- 


i« 


Ml 


74 


Mœvrs  et  Prodvctions. 


très,  qui  sont  plustost  oyseaux  de  mer  que  de 
terre  :  mais  ie  vous  nommeray  seulement  ^eux 
qui  sont  proches  de  nous,  et  que  l'on  tue  tous 
les  iours,  <omme  Cygnes,  Outardes,  Breu(\s- 
ches,  Oyes  sauuages.  Grues,  Canards,  Cercelles, 
Plongeons  de  plus  d'^  dix  sortes,  Huarts,  Bu- 
tors, Hérons,  Bec(îasses,  Beccassines,  Cheua- 
liers,  Pluuiers,  Pirouys,  Alloueites  de  mer  : 
car  il  n'y  en  a  point  des  champs.  Tou.s  les 
noms  cy-dessus  son  oyseaux  de  riuieres  ;  veu 
que  si  ils  ne  se  trouuent  dedans,  ila  se  trou- 
uent  le  long  des  bords. 

Tout  ce  Pays  est  remply  de  ce  Gribier  dans 
la  saison,  qui  est  le  Printemps  et  l'Automne. 

Comme  Loutarde  n'est  pas  vn  oyseau  com- 
mun en  France,  j'en  i'eray  une  petite  descrip- 
tion, à  cause  que  c'est  le  Gribier  d(^  riuiere  le 
plus  commun  d'icy  ;  elle  est  faite  tout  comme 
vue  Oye  grizc,  mais  beMU''oup   i)lus  gross(% 


De  la  No  vvel le- France. 


i') 


elle  n'a  pas  la  chair  si  d*-licat(^  que  celle  di^s 
Oyes  que  nous  voyons  icy  en  (.'anada  ;  qui  cmi 
passant  soiii  toutes  bkniches,  à  la  reserUe  du 
bout  des  ailes  et  de  la  queue  qui  est  noire  : 
car  pour  la  chair  des  Oyes  de  France,  il  s'en 
faut  beaucou})  qu'elles  approchent  du  goust 
de  celuy  de  nos  Outardes.  ; 

Les  jioms  des  autres  Oyseaux  sont,  l'Aigle, 
le  Cocq-d'Inde,  des  Oyseaux  de  proye  de  plus 
de  quinze  sortes,  dont  ie  ne  sçay  pas  les  noms, 
sinon  de  l'Eperuier  et  de  l'Emerillon. 

La  femelle  de  l'Aii^le  a  la  teste  et  la 
queue  blanche,  on  l'appelle  Nonnette.        ,, 

^    .  Pour  le  Cocq  d'Inde  saunage,  il  ne  s'en 

• 

trouue    point    ny    à   Québec,    ny   aux  Trois- 

Kiuieres,  ny  à  Montréal  :  mais  dans  le  Pays 

des  L'oquois,  et  dans  le  Pays  où  demeuroient 

autrefois  les  Hurons,  il  y  en  a  des  q nanti tez, 
et  dont  la  chair  (\st  bien  plus  delic*ate,  que 
des  Cocqs-d'Inde  domestiques. 


r*i'i 


te 


Mœvrs  et  Productions 


Il  y  a  trois  sortes  de  Perdrix  ;  les  vnes  sont 
blanches,  et  elles  ne  se  trouuent  que  l'Hyuer, 
elles  ont  de  la  plume  jusque  sur  les  argots, 
elles  sont  fort  belles  et  plus  grosses  que  celles 
de  France,  la  chair  en  est  délicate.  Il  y  a 
d'autres  perdrix  qui  sont  toutes  noires,  qui 
ont  des  yeux  rouges  *  elles  sont  plus  petites 
que  celles  de  France,  ïa  chair  n'er^  est  pas  si 
bonne  à  manger  ;  mais  c'est  vn  bel  oyseau,  et 
elles  ne  sont  pas  bien  communes 

Il  y  a  aussi  des  Perdrix  grises,  qui  sont 
grosses  comme  des  Poules  :  celles-là  sont  fort 
communes  et  bien-aisées  à  tuer  ;  car  elles  ne 
s'enfuyent  quasi  pas  du  monde  :  la  chair  est 
extrêmement  blanche  et  seiche. 

Il  a  d'vne  autre  sorte  d'Oyseaux,  qui  se 
nomment  Tourtes  ou  Tourterelles,  (comme 
vous  voudrez)  :  elles  sont  presque  grosses 
comme  des  pigeons,  et  d'un  plumage  cendré  : 


De  la  NovveUe-Franœ. 


11 


les  masles  ont  la  2:ori>*e  rousse,  (ît  sont  d'vn 
excellent  goust.  Il  y  en  a  des  quantités  pro- 
digieuses, l'on  en  tuë  des  quarante  et  quaran- 
te-cinq d'vn  coup  de  fusil  :  ce  n'est  pas  que 
cela  se  fasse  d'ordinaire  ;  nriais  pour  en  tuer 
huit,  dix,  ou  douze,  cela  est  commun  ;  elles 
viennent  d'ordinaire  au  mois  de  May,  et  s'en 
retournent  tvu  mois  de  Septembre  ;  il  s'en 
trouue  yniuersellement  par  tout  ce  Pays-cy. 
Les  Iroquois  les  prennent  à  la  passée  auec 
des. rets;  ils  en  prennent  quelquesfois  des 
trois  et  quatre  cens  d'vn  coup. 

Il  y  a  aussi  grand  nombre  d'Etourneaux  qui 
s'abandent  en  Septembre  et  Octobre  :  quanti- 
té de  Griues,  Merles,  Hortolans,  et  vn  nombre 
infiny  d'autres  petits  oyseaux  dont  ie  ne  sçay 
pas  les  noms. 

Il  y  a  des  Hirondelles,  Martinets,  Greays, 
Pies,  mais  elles  ne  sont  pas  comme  celles  de 
France  :  car  elles  sont  cendrées  et  mal-bâties. 


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Mœurs  et  Prodvctions. 


Il  se  void  des  Hiboux  et  Chats-huans  :  des 
Corbeaux  et  Corneilles,  des  Piuerts,  et  autres 
sortes  que  l'on  appelle  Picquebois  :  des  petits 
oy seaux  qui  sont  tout  rouges  comme  du  feu  : 
d'autres  sont  rouges  et  noires  :  d'autres  sont 
tout  jaunes,  et  d'autres  tout  bleus. 

Les  Oyseaux  mouches,  qui  sont  les  plus 
petits  de  tous,  sont  quasi  tout  verds,  à  la  re- 
serue  des  masles  qui  ont  la  gorge  rouge. 

Les  oyseaux  que  l'on  a  apporté  de  France» 
sont  Poules,  Poules-d'Indes,  et  des  l'igeons. 


De  la  Novvelle-France. 


79 


NOMS   DES  POISSONS   QUI   SE   TROUUENT 


DANS  liE 


GRANDFLEUUES.  LAURENS 


ET  DANS  LBS 


Lacs  et  Eiuieres  qui  descendent, 


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DONT  NOUS  AVONS  CONNOISSANCK. 


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CHAPZTBE  VZI. 


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A  l'entrée  du  Fleuue,  il  s'y  void  des  Bale- 
naux,  et  l'on  dit  mesme  qu'il  y  a  de  grosses 
Baleines. 

Il  y  a  quantité  de  Moluës,  et  Ton  enpesche 

ju«ques  à  dix  lieues  de  Tadoussac. 

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80 


Mœvrs  et  P^'odvdions 


Depuis  là  jusques  au  Mont-Royal  se  trouue 
grande  quantité  de  Marsoins  blancs,  propres 
à  faire  de  l'huile,  si  on  les  pouuoit  attraper. 
On  en  void  des  quantitez  admirables  depuis 
Tadoussac  jusques  à  Québec,  qui  bondissent 
sur  la  riuiere.  Ils  sont  extrêmement  grands  et 
gros  ;  et  l'on  peut  espérer  da  moins  vne  bari 
que  d'huile  de  chacun,  ainsi  qu'on  a  expéri- 
menté de  quelques-vns  qu'on  a  trouué 
échouez.  , 

Il  y  a  aussi  quantité  de  Loups-marins  vers 
Tadoussac,  et  descendant  plus  bas  ;  l'huile  en 
est  excellente,  non  seulemenr  à  brûler  ;  mais 
à  beaucoup  d'autres  choses  :  ils  sont  fort  aisez 
à  attraper,    la  peau  sert  à  beaucoup  d'vsages. 

Il  y  a  quantité  de  Saulmons  et  Truites,  de- 
puis rentrée  du  (xolfe  jusques  à  Québec  :  il 
ne  s'en  trouue  point  aux  Trois-Eiuieres,  ny 
au  Mont-lloyal  :  mais  quantité  dans  le  Pays 
c^s  Iroquois. 


De  la  Nowelle- France. 


81 


de- 
b:  il 

^lys 


11  y  a  abondance  de  Maquereaux,  mais  ils  ne 
se  trouuent  qu'à  l'Isle  Percée. 

Le  Haran  donne  en  plusieurs  endroits  :  à 
risle  Percée,  Tadoussac,  et  autres  riuieres,  il 
va  par  bandes  comme  en  Europe. 

L'Esturgeon  se  prend  depuis  Québec  en 
montant  en  haut,  et  dans  tous  ces  grands 
lacs,  oti  il  y  en  a  grandes  quantitez  :  il  s'en 
void  bien  peu  de  petits,  mais  tous  grands 
Esturgeons  de  quatre,  de  six,  et  de  huit  pieds 
de  long  :  j'ay  veu  qu'il  s'en  pe&chait  en  abon- 
dance deuant  l'habitation  du  Mont-Royal, 
pendant  qu'ils  auoient  des  hommes  affection- 
nez à  la  pesche  :  il  est  parf litement  bon  salé, 
et  S3  garde  bien  longtemps:  j'en  ay  mangé 
qu'il  y  auoit  deux  ans  qui  estoit  salé,  qui 
estoit  aussi  bon  que  quatre  iours  après  la 
prise. 

L'Aloze  est  plus  abondant  à  Québec  qu'en 


82 


Mœvra  et  Prodvctions 


aucun  lieu  ;  il  en  a  des  quantitez  prodigieuses 
au  Printemps»  qui  est  la  saison  qu'on  la  pes- 
che. 

Le  Bar  est  vn  poisson  d'eau  douce  :  on  en 
pesche  quantité  à  Québec  et  aux  Trois-Riuie- 
res  :  je  n'ay  point  ouy  dire  qu'on  en  prist  à  Ta- 
doussac,  ny  au  Mont  Royal  :  c'est  vn  poisson 
dont  la  chair  est  excellente,  et  oii  il  y  a  peu 
d'arêtes. 

La  Barbue  commune  en  tout  ce  Pays,  et 
qui  abonde  par  tout,  est  vn  poisson  sans  écail- 
le, qui  a  la  teste  plus  grosse  que  le  reste  du 
corps,  n'a  que  la  grosse  arreste  :  la  chair  en 
est  blanche  et  délicate,  pour  estre  vn  des  plus 
gras  de  ce  Pays-icy  :  elle  a  d'ordinaire  vn  p^ed 
et  demy  ou  deux  pieds  de  long  :  elle  se  prend 
à  l'ameçon  :  elle  est  fort  bonne  salée. 

Il  y  a  aussi  abondance  d'Epi  an  durant  l'Au- 
tomne, tant  à  Québec  qu'à  Tadoussac. 


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De  la  Novveffe- France. 


83 


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II  se  tronue  des  Loches  à  Tadoussac,  et 
quantité  d'autre  sorte  de  Poissons  que  j'ob- 
mets  pour  n'en  sçauoir  les  noms. 

L'Anguille  se  pesches  à  Québec,  en  plus 
grand  abondance  qu'en  aucun  lieu,  dans  le 
mois  de  Septembre  et  au  commencement 
d'Octobre  :  elle  est  plus  grosse  et  de  beaucoup 
meilleur  goust  que  celle  qui  se  voit  en  Fran- 
ce, l'en  ay  veu  d'aussi  grosses  que  la  jambe 
d'vn  homme  :  elle  est  délicate  :  elle  se  garde 
fort  bien  salée  :  elle  se  prend  auec  des  nasses  : 
on  en  prend  si  grande  quantité,  que  cela  n'est 
pas  concevable  à  moins  de  l'auoir  veu. 

Les  Poissons  qui  se  trouuent  dans  les  petits 
lacs  et  petites  riuieres,  sont  Brochets,  Carpes 
de  plusieurs  sortes  ;  Perches,  Braimes,  petites 
Truites,  Poissons  dorez,  Ouchigans,  vne  autre 
sorte  de  poisson  plat  qui  n'a  point  de  nom 
françois,  non  plus  que  le  précèdent,  qui  est 


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84 


Mœvrs  et  Prodvctiom 


petit,  mais  excellent,  et  vn  autre  nommé  le 
Poisson  blanc  ;  voila  les  plus  communs  qui  se 
rencontrent  par  tout. 

Les  Brochets  y  sont  ordinairement  bien 
grands  Les  Carpes,  de  quelque  nature  qu'elles 
soient,  ne  sont  pas  bien  excellentes,  à  moins 
que  d'estre  frites  à  l'huile  :  elles  ont  la  chair 
molasse. 

De  tous  ces  poissons  il  y  a  abondan<e  dans 
tous  les  petits  lacs  et  petites  riuieres. 

Dans  ces  grands  lacs,  il  y  a  quantité  de 
beaux  et  grands  poissons,  et  de  di  vers  espèces, 
qui  n'on  point  encore  de  nom  parmy  nous 
autres  François,  qui  cependant  son  des  man- 
gers délicieux.  le  n'en  feray  point  la  descrip- 
tion, ils  sont  encore  trop  éloignez  de  nous. 

Il  serait  bien  difficile  de  dire  les  noms  de 
tous  les  poissons  qui  se  prennent  dans  vn 
grand   Pays   comme   celui -cy.   De   temps  en 


De  la  NonveUe-Francc. 


8ô 


temps  il  s'en  prend  quelques-vns  dont  on  n'a 
point  encore  veu  de  semblables.  On  troune 
aussi  des  Escreuvisses  dans  les  petites  viuie- 
res. 

j'oublioisà  vous  fnifo  la  des  riptioii  d'vn 
poisson,   qu'on    appelle    Poisson    armé:  il    a 
enuiroii  deux  pieds  dt  demy  de  long,  ,«t  m  s- 
me  trois  pieds  ;  il  est  tout  rond,   et  a  six  ou 
huit  poulces  de  lour  ;  il  est  quasi  égalemenl 
gros  partout  :  il   a  vne  écaille  extrêmement 
dure,  et  qu'on  ne  sçauroit   avoir  percé  d'vn 
coup  d'épée  ;  son  bec  a  enuiron   huit  poulces 
de  long,  et  est  dure  comme  de  l'os  ;   armé  de 
trois  rangés  de  dents  de  chaque  costé,  qui 
so]it  pointues  comme  des  alesnes  :  la  chair  ne 
vaut  pas  grand  chose  à  manger.  Il  est  fort  fa- 
cile a  prendre,  mais  il  est  rare. 


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86 


Mœvrs  et  Prodvctions 


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Noms  des  Bleds  et  autres  Grains 

APPORTEZ  D'EUROPE, 

QUI  CROISSENT  EN  CE  PAYS. 


1 


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Chapitre  Vllll. 

Dans  mou  voyage  de  France,  ie  rencontray 
quantité  de  personnes  qui  me  demandoient  si 
le  bled  venoit  en  la  Nouuelle-France,  et  si 
Ton  y  mangeoit  du  pain.  C'est  ce  qui  m'a 
obligé  à  faire  ce  Chapitre,   pour  desabuser 


De  la  Nouvelle- France. 


87 


ceux  qui  croyent  que  l'on  ne  vit  en  ce  Pays- 

i<;y  que  de  racines,  comme  on  fait  aux  Isles 
Saint  Ohristophle.  Ils  sçauront  donc  que  le 

le  Bled  froment  y  vient  très-bien  ;  et  on  y  fait 
du  pain  aussi  beau  et  aussi  blancs  qu'en  Fran- 
ce. Les  Seigles  y  viennent  plus  que  l'on  ne 
veut  ;  toute  sorte  d'Orges  et  de  Poix  y  (pois- 
sent fort  beaux,  et  Ton  ne  void  pas  de  ces  Pois 
verreux  plains  de  Cossons,  comme  on  en  void 
en  France  ;  les  Lantilles,  la  Voisse,   l'Auoine, 
et  Mil,  y  viennent  parfaitement  bien  ;  les  gros- 
ses Febves  y  vienne  bien  aussi  ;  mais  il  y  a 
de  certaines  années  qu'il  y  a  di^  grosses  mou- 
ches qui  les  mangent,  quand  elles  sont  en 
fleur.  Le  Bled  Sarazin  y  vient  aussi  ;   mais  il 
arriue  quelquesfois  que  la  gelée  le  surprend 
auant  qu'il  soit  meur.  Le  Chanvre  et  le  Lin 
y  viennent  plus  beaux  et    plus  hauts  qu'en 
France. 


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88 


Mœurs  et  Prodiictions 


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Les  grains  que  cultiuent  les  Saunages,  et 
qu'ils  auoient  auaut  que  nous  vinssions  dans 
le  Pays,  ce  sont  gros  Mil  ou  Bled-dlnde,  Fai- 
zoles  ou  Arricots,  Citrouilles  d'vne  autre  espè- 
ce que  celles  de  France  ;  elles  sont  plus  peti- 
tes, et  ne  sont  pas  si  creuses  ;  ont  la  chair  plus 
ferme  et  moins  aqueuse,  et  d'yn  meilleur  goust. 
Du  Tournesol,  de  la  graine  duquel  ils  font  de 
rhuile  qui  est  fort  délicate,  et  de  tres-bon  goust. 
De  rherbe  à  la  Reyne,  ou  Petun,  dont  ils  font 
leur  tabac  ;  car  les  Saunages  sont  grands  fu- 
meurs, et  ne  se  peuuent  passer  de  Petun.  Voi- 
la en  quoy  consiste  la  culture  des  Saunages. 

Toutes  sortes  de  Naueaux  et  Rabioles,  Bet- 
tes-raues,  Carottes,  Panais,  Cercifis,  et  autres 
racines,  viennent  parfaitement,  et  bien  gros- 
ses. Toute  sorte  de  Choux  y  viennent  aussi  en 
l'^ur  p^fection,  à  la  reserue  des  Choux  à  fleur 
que  ie  n'y  ay  point  ;  encore  veu. 


j  i 


De  la  No  weile- France. 


89 


îs,  et 
dans 
I,  Fai- 
espe- 
peti- 
r  plus 
^oust. 
)nt  de 
goust. 
s  font 
Is  fu- 
.  Voi- 
lages. 

,  Bet- 
lutres 

gros- 
8si  en 

fleur 


Pour  des  herbes,  Lozeille,  Cardes  de  toutes 
façons,  Asperges,  Ëspinars,  Laittuës  de'  toute 
sorte,  Cerfiieil,  Percil,  Cioorée,  Piinprenelle; 
Oignons,  Porreaux,  l'Ail,  les  Ciues,  Ilysopes, 
Bouroche,  Buglose,  et  généralement  toutes  sor- 
tes d'herbes  qui  croissent  dans  les  jardins  de 
France  ;  les  Melons,  les  Corombres,  les  Me- 
lons d'eau  et  Civllebaces  y  viennent  très  bien. 

Pour  des  fleurs,  on  n'en  a  pas  encore  beau- 
coup apporté  de  Franche,  sinon  des  Roses,  d<'s 
Œillets,  Tulipes,  Lys  blancs.  Passes-roses,  An(^ 
mones,  et  Pas-d'aloiiette  qui  font  tout  romine 
en  France. 

Pour  les  herbes  saunages,  ie  n'eutreprt'U- 
dray  pas  de  vous  en  décrire  iry  les  noms,  si- 
non de  quelques-vnes  les  plus  communes  qui 
se  rencontrent  icy  dans  les  bois.  I^  Cerfeiiil- 
le  a  la  feuille  plus  large  que  <*eluy  de  France, 
a  la  tige  beaucoup  plus  grosse  ,  et  est  d'aussi 


90 


Mœvrs  el  Prodvctions 


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il 


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bon  goust.  L'Ail  est  plus  petit  que  celuy  de 
France  :  il  y  croist  force  petits  Oignons  façon 
de  Oiues  le  long  du  grand  Fleaae.  Il  y  a  de 
la  Passe-pierre  et  du  Percil  saunage,  qui  res- 
semble tout  à  fait  au  percil  de  Macédoine  :  il 
y  a  de  l'Angélique  dans  les  prairies,  et  le 
Pourpier  vient  naturellement  dans  les  terres 
désertées  sans  y  estre  semé  :  mais  il  n'est  pas 
si  beau  que  celuy  que  nous  cultiuons  :  il  se 
trouue  dans  les  prairies  d'vne  herbe  qu'on  ap- 
pelle Voisseron,  qui  fait  d'excellent  foin,  aussi 
bien  qu'vne  autre  qu'on  appelle  Pois  sauna- 
ges :  il  n'y  en  a  plus  vers  les  Trois-Riuieres  et 
Mont-Rpyal,  où  il  n'y  a  point  de  reflux,  que 
vers  Québec.  IjC  Houblon  y  vient  aussi  natu- 
rellement, et  on  en  fait  de  très-bonne  bien». 
La  Oicué  y  croist  à  merveille,  aussi  bien  que 
l'Eleboro  :  le  Capilaire  y  croist  en  abondance  : 
il  se  trouue  de  plusieurs  sortes  de  Fougère, 


i 


De  la  NoweHe-Franee, 


91 


'  ',  1  !. 


des  Ortyes  dont  on  fait  du  fil  et  de  très-bons 
cordages,  da  Melilot,  des  Roseaux  et  loues  le 
long  des  riuieres. 

Il  y  a  aussi  quantité  de  sortes  de  fleurs,  dont 
les  plus  considérables  sont  celles-cy,  des  Mar- 
tagons  qui  sont  jaunes  ;  des  roses  saunages 
qui  ne  sont  point  doubles  ;  vne  autre  fleur 
rouge  qu'on  nomme  Gardinalle  ;  vne  espei^e 
de  Lys,  du  Muguet,  des  Violettes  simples  et 
qui  ne  sentent  rien.  le  ne  sçay  point  le  nom 
des  autres  ;  mais  ceux  qui  ont  esté  aux  Iro- 
quois  m'ont  dit,  que  c'est  chose  admirable  de 
voir  la  quantité  et  la  diuersité  des  belles  fleurs 
qui  s'y  trouuexit. 


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92 


Mœurs  et  PtodedUms, 


DES  SAUVAGES  de  iaiOUOEtLE-FRANCE, 

ET  DE  LEUR  FAÇON  DE  VIURË. 


OUpitrt  IX. 


Tovs  les  Sauuages  de  la  Nouuelle-France, 
sont  quasi  tous  les  vns  comme  les  autres,  par- 
ticulièrement pour  les  habillemens  et  leurs 
costumes  :  mais  comme  ils  sont  differens  en 
leurs  façons  de  vie  et  en  leurs  langages,  nous 
les  distinguerons  en  deux,  à  quoy  se  rappor- 


De  la  Nmme/fe' France. 


93 


tent  toutes  les  Nations  de  ces  Pays-icy  :  sç;iuoir 
TAlgonquine  et  la  Huronne  ;  toutes  les  na- 
tions qui  habitent  le  costé  du  Nort,  tant  bas 
que  haut,  sont  tous  Algonqiïins,  et  ne  diffé- 
rent pas  beaucoup  de  langage,  sinon  comme 
le  Poiieuin  diffère  du  Proueiiçal  ou  du  Gas- 
con ;  du  costé  du  Sud  il  y  a  encore  les  Abna- 
quiois,  les  Acadiens,  les  Socoquiois,  et  toute 
la  nation  du  Loup,  qui  tiennent  plus  de  l'Al- 
gonquin que  du  Huron 

En  haut  les  Outaona(%  les  Nez-percez,  et 
tontes  (*es  autres  grandes  nations,  parlent 
presque  tous  Algonquin. 

D'autre  costé  la  nation  du  Pet  un,  la  nation 
neutre,  tous  les  Iroquois,  les  Andastoé,  par- 
lant la  langue  Huronne,  quoy  que  les  Dialec- 
tes soient  beaucoup  différens,  comme  l'Espa- 
gnol, l'Italien,  le  François  différent  du  I^tin. 

Mais  entre  la  langue  Huronne  et  l' Algonqui- 
ne,  il  y  a  autant  de  différence  que  du  Grec  au 
l4itin. 


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94 


Mœvrs  et  Productions 


Les  Algonquins  sont  errans,  et  ne  viuent 
que  de  chasse  et  de  pesche,  ne  sçanent  ce  que 
c'est  de  cultiuor  des  terres  ;  et  vniuorselle- 
ment  toutes  les  nations  qui  ont  rap^iort  à  la 
langue  Algonquine.  Au  contraires,  les  Hu- 
rons,  Iroquois  et  toutes  les  nations  qui  ont 
rapport  à  la  langue  Huronne,  sont  sédentaire», 
ont  des  bourgades,  font  des  champs,  cultiuent 
la  terre,  trafiquent  chez  les  autres  nations, 
sont  plus  policez,  ont  comme  des  Officiers  par- 
my  eux  pour  toutes  sortes  de  choses. 

Faisons  la  description  de  la  vie  dos  Algon- 
quins, après  quoy  nous  parlerons  de  celle  di*s 
Hurons. 

L'Algonquin,  comme  j'ay  dit,  est  errant  et 
vit  de  chasse  et  de  pesche  ;  et  pour  cet  efT^t 
ils  ont  de  petits  vaisseaux,  que  Ton  app4*lle 
icy  canots,  fait  d'écorce  de  bouleau,  et  renfor- 
cez par  dedans  de  demy-cercles  de  bois  d  »  ce- 


De  la  Novvf lie- France. 


96 


es 
et 


dre  :  cela  est  fait  si  proprement  quVii  homme 
seul  porte  aisément  vn  de  ces  pv3tits  vaisseaux, 
quand  il  est  question  de  trauerser  les  bois, 
pour  aller  d'vne  riuiere  à  vue  autre  ;  et  cepen- 
dant il  s'y  ambarque,  luy,  sa  femme  et  ses  en- 
fans,  ses  armes,sa  maison  et  le  reste  de  son 
bagage.  Il  y  a  des  canots  de  deux,  dt»  trois,  de 
*  quatre,  et  de  cinq  brasses. 

Leurs  maisons  consistent  d'ordinaire  en  trois 
escorces  de  bouleau,  qui  ontenuiron  chacune 
vue  aulne  de  large,  et  trois  à  quatre  aulne  de 
large,  et  trois  à  quatre  aulnes  de  long,  qui  se 
plient  comme  fait  vn  tableau  quand  il  sort 
de  chez  vn  Peintre  :  ils  estendent  ces  escor- 
ces le  soir  quand  ils  sont  arrivez,  sur  trois  ou 
quatre  perches  en  rond,  qui  vont  en  pointe 
vers  le  haut,  en  sorte  que  la  cabane  est 
ronde,  large  par  en  bas,  et  retressissant 
par  le  haut.  C'est  d'ordinaire  la  femme  qui 
fait     la  cabane,   qui   descharge   le  canot,  al- 


1 

1 
II 


96 


Mœurs  et  Prodvdions 


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lumele  fea,  et  dispose  le  souper,  pendant 
que  rhomme  allant  faire  vn  tour  dans 
le  bois,  va  voir  s41  ne  trouuera  rien  à  tuer. 
La  femme  doit  aussi  disposer  le  lit,  allant  cou- 
per là  proche  vn  paquet  de  branches  de  sa- 
pin, qu'elles  estendent  sur  la  terre  pour  se 
coucher  ;  c'est  elle  qui  doit  couper  et  appor- 
ter tout  le  bois  nécessaire  pour  la  maison! 
Quand  les  hommes  ont  tué  quelque  animal, 
c'est  aux  femmes  à  aller  quérir  la  viande  : 
car  elles  leur  seruent  comme  des  porte-faix, 
elles  écorchent  les  animaux,  elles  en  esten- 
dent et  font  sécher  les  peaux,  elles  les  passent 
après  pour  s'en  couurir  ;  car  nos  Saunages  ne 
vont  pas  nuds,  comme  font  ceux  qui  sont  du 
costé  des  Isles  Saint  Christophle,  seulement 
ils  ne  se  couurent  point  les  bras,  sinon  quand 
il  Mi  grand  froid. 

Les  Saunages  généralement  p^irlant,  tant 
hommes  quo  femmes,  sont  fort  hien-faits  ;  c»t 


De  la  Nowelle'France. 


M 


on  en  voit  fort  peu  parmy  eux  qui  ayant  des 
défauts  de  natvre,  comme  d'estre  louches,  bos- 
sus, boiteux,  à  moins  qu'il  ne  leur  soit  arriué 
par  accident. 

Us  sont  bazanez,  les  enfans  qui  nais^;  nt 
sont  blancs  comme  des  François,  et  cett'^  cou- 
leur bazanée  ac  leur  vient  qu'auec  l'aage.  T  9s 
hommes  n'ont  point  de  barbe,  ils  ont  tous  les 
cheueux  noirs  et  gros,  tant  hommes  que  fem- 
mes, se  les  graissent  fort  souuent.  Les  Algon- 
quins les  portent  d'ordinaire  forts  longs. 

Ils  sont  naturellement  timides,  cruels,  dis- 
simulez, complaisans,  ingrats,  surtout  les  Al- 
gonquins, hardis  demandeurs  :  mais  le  plus 
grand  mal  que  i'y  vois,  c'est  qu'ils  sont  ex- 
trêmement vindicatifs,  et  garderont  vingt  ans 
le  dessein  de  se  venger,  sans  le  faire  paroistre  ; 
cependant  cherchent  tousiours  l'occasion  d'a- 
uoir  quelque  prétexte  qui  les  mette  à  couuert. 


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98 


Mœvrs  et  Prodvctians 


Ce  n'est  point  leur  coustume  de  faire  parois- 
tre  leur  rancunes  ouuertement,  comme  de  se 
battre  à  la  rencontre,  ou  seul  a  seul,  comme 
on  fait  en  Europe.  Vn  homme  seroit  odieux 
parmy  eux  qui  l'auroit  fait  ;  et  comme  ils  sont 
heureux  d'auoir  occasion  de  faire  pièce  à  leurs 
ennemis,  et  estre  à  couuert.  C'est  vue  des  cau- 
ses qui  les  rend  si  passionnez  pour  s'enyurer, 
estimans  que  quand  ils  ont  frappé  ou  tue 
quelquVn  dans  leur  yuresse,  cela  ne  leur  est 
point  à  deshonneur,  disans  que  c'est  la  bois- 
son qui  l'a  fait  et  non  pas  eux  ;  cependant  ils 
volent  de  joye  dans  leurs  cœurs  de  s'estre 
vangez  :  de  là  vient  que  les  Saunages  ne  boi- 
uent  quasi  iamais  que  pour  s'enyurer,  et  en* 
suite  faire  pièce  à  quelqu'vn  qui  leur  aura 
rendu  quel  dépiasir,  ou  pour  assouurir  quel- 
que autre  passion  brutale,  comme  de  violer 
vne  fille  ou  femme^  C'est  ce  qu'a  fort  bien 
reconnu  Moiisituir   notre    Euesque,  et  ce   qui 


De  Li  NomwUs-France, 


09 


l'a  rendu  si  zolè  à  s'opposer  à  ceux  qui  don- 
noi«^nt  de  la  boisson  aux  Sauuages,  dont  ils 
sVnyuToient  incessaineut,  et  d'où  naissoit  nt 
dos  désordres  funestes,  qu«?  la  pieté  des  gens 
de  bien  ne  pouuoit  supporter  :  Car  il  est  très- 
certain  que  les  Saunages  ne  boiuent  point  par 
del  catesse,  ny  par  nécessité;  mais  tousioiurs 
pour  quelque  matiuais  dessein  :  et  cela  est  tel- 
lement vray,  qu'on  n'auoit  iamais  veu,  ny 
entendu  parler  parmy  les  Saunages,  des  maux 
qui  se  sont  faits  depuis  qu'on  leur  adonné  de 
ces  boissons  enyurantes:  car  les  Saunages  de 
leur  naturel  ne  sont  point  «capables  de  grandes 
malices,  comme  sont  les  Européens  ;  il?  ne 
sçauent  ce  que  c'est  que  de  jurer.  Quoy  qu'il 
y  en  ait  parmy  eux  quelques- A^ns  qui  soient 
larrons,  ils  ne  dérobent  iamais  auec  effronterie, 
ny  mesme  auec  adresse,  du  moins  les  Algon- 
quins, quoy  qu'ils  ne  manquent  pas  d'esprit. 


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100 


Mœvrs  et  Productions 


Ordinairement  to  as  les  Saunages  ont  l'esprit 
bon,  et  il  est  bien  rare  de  voir  parmy  eux  de 
ces  esprits  buses  et  grossiers,  comme  nous  en 
voyons  en  France  parmy  nos  paysans.  Ils  crai- 
gnent plus  vne  simple  réprimande  de  leurs 
parens  ou  de  leurs  Capitaines,  que  l'on  ne  fait 

en  Europe  les  roués  et  les  gibets  ;  car  vous  ne 
voyez  point  de  désordre  parmy  eux,  quoi  que 
les  pères  et  les  mères  n'ayent  point  de  chasti- 
ments  i)our  leurs  enfans,non  plus  que  leurs  in- 
férieurs ou  leurs  chefs,  que  des  paroles  de  répri- 
mande; et  i'en  ay  veu  qui  se  sont  empoisonnez; 
d'autres  se  sont  pendus,  ou  pour  auoir  receu, 
ou  de  peur  de  receuoir  vna  correction  de  leurs 
parens.ou  de  leurs  Capitaines,et  cela  pour  quel- 
ques petites  fautes  qu'ils  auoient  fait.  C'est  d'où 
vient  que  quand  il  s'est  fait  vn  meurtre,  on  ne 
sW  prend  point  à  celuy  qui  l'a  fait,  mais  aux 
uà^Jitaines,  qui  sont  obligez  de  satisfaire  aux 


De  la  Novvef le- France. 


101 


pareils  du  défunt  ;  et  comme  la  satisfaction  est 
considérable,  et  que  cela  donne  de  la  peine 
au  Capitaine,  cela  donne  y  ne  telle  confusion  à 
celuy  qui  a  fait  le  mal,  que  quoy  qu'on  ne  luy 
dise  rien,  il  se  bannit  ordinairement  le  reste 
de  ses  iours,  et  cela  retient  tous  les  autres  en 
bride. 

Ils  respectent  beaucoup  leurs  Capitaines  et 
leur  obeyssent  promptement,  surtout  quand  ils 
ne  sont  pas  vicieux  :  car  quand  ils  le  sont,  ils  les 
méprisent  fort,  disans,  qu'un  homme  qui  ne 
peut  pas  se  commender  soy-mesme  est  incapa- 
ble  de  commander  autruy. 

Ils  ne  sont  point  d'ordinaire  auaricieux  ; 
cela  yient  de  ce  qu'ils  ne  se  soucient  pas  de 
rien  amasser  (particulièrement  les  Alg'onquiuh) 
qui  yiuent  au  jour  la  iournée  :  ils  n'ont  point  de 

soin.  •     ' 


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102 


Mœvrs  et  Prodvctions 


La  libéralité  i^army  eux  est  estimée  ;  c'est 
d'où  vient  que  les  Capitaines  sont  ordinaire- 
ment plus  pauures  que  les  autres  :  car  quand 
ils  commencent  à  paroistre,  ils  donnent  tout, 
pour  attirer  l'afFection  de  leurs  gens,  qui  par 
après  leur  font  plusieurs  presens,  et  les  nour- 
rissent quand  ils  commencent  à  vieillir. 

Ils  ne  sont  point  plus  braues  les  vns  que 
les  autres,  les  meilleurs  chasseurs  sont  les 
mieux  accommodez. 

Ils  ne  sçauent  ce  que  c'est  de  se  faire  ser- 
uir,  chacun  se  sert  soy-mesme. 

Le  mestier  des  hommes  Algonquins,  c'est 
d'aller  à  la  chasse,  à  la  pesche  et  à  la  guerre' 
en  traitte  aux  Nations  esloignées,  et  d'escorter 
les  femmes  quand  elles  vont  en  des  lieux  dan- 
gereux, faire  les  canots,  et  voila  tout  ;  pour  le 
reste  ce  sont  les  femmes  qui  le  doiuent  faire. 


De  la  NovveUe-Fmnre. 


103 


Quand  ils  vont  en  voyage,  et  que  leurs  fem- 
mes vont  auec  eux.  la  femme  n Age  dans  le  ca- 
not aussi  bien  que  l'homme.  En  voila  assez 
dit  des  Algonquins. 

Venons  maintenant  à  vne  vie  et  des  coustu- 
mes  bien  différentes  qu'ont  les  nations  de  la  lan- 
gue Huronne,  tels  que  sont  tous  les  cantons  d(^s 
Iroquois.  Ils  sont  sédentaires,  comme  i'av  dé- 
jà dit,  et  bastissent  des  bourgades.  Ce  sont  les 
hommes  qui  font  les  palissades  et  les  cabanes, 
qu'ils  font  en  forme  de  berceau,  fort  haut  et 
large  ;  couuert  depuis  le  haut  jnsques  au  bas 
de  grosse  écorce  de  Fresne  ou  d'Orme  :  les  meil- 
leures de  ces  cabanes  sont  couuertes  d'écorces 
de  Cèdre,  mais  elle  sont  plus  rares. 

Ils  abbatent  du  bois,  et  déserte  pour  faire 
des  champs.  Quand  le  bois  en  est  bruslé,  c'est 
aux  femmes  à  les  ensemencer  ;  car  ce  sont  les 


104 


Mœurs  et  Prodvctions 


fouîmes  qui  fout  toutes  les  semences,  cerclent 
le  bled  et  en  font  la  récolte  :  ce  sont  elles  qui  le 
moulent,  autrement  le  pilent  :  car  les  Saunages 
n'ont  iamais  eu  Tvsage  des  Moulins  ;  l'ayant 
réduit  en  farine,  elles  en  font  du  pain,  ou  vne 
espèce  de  bouillie  auec  de  l'eau  et  quelque  as- 
saisonnement, lorsqu'ils  en  ont,  ce  qu'ils  appel- 
lent Sagamité  :  car  les  femmes  sont  les  Cuisi- 

nieres  et  les  Boulangères.  . 

Les  hommes  trauai lient  encore  à  faire  des 
canots,  des  armures  et  des  rets  ;  mais  ce  sont 
les  femmes  qui  fdent  le  fil  :  les  hommes  tien- 
nent les  conseil,  délibèrent  des  affaires,  c'est 
à  dire  ceux  qui  sont  de  naissance  pour  cela  ; 
car  les  Capitaines  viennent  de  père  en  fils, 
et  entrent  au  conseil  lorsqu.ils  sont  en  vn 
aage  meur  et  qu'ils  ont  montré  auoir  l'esprit 

bien  fait. 


De  la  Novvelle-Frnnce. 


105 


Ce  sont  les  hommes  qui  vont  à  la  chasse,  à 
la  pesche,  et  à  la  guerre  :  les  Iroqnois  ne  voiit 
point  en  traittechez  les  autres  nations  Sauna- 
ges, car  ils  sont  haïs  de  tous  :  les  Hurons  y  al- 
loient  fort,  et  trafiquoient  quasi  par  tout  le 
Pays,  ^ 

Les  hommes  s'occupent  encore  à  faire  des 
plats  et  des  cuillères  de  bois.  C'est  aussi  eux 
qui  font  les  champs  de  tabac,  et  les  calumets 
ou  pipes  qui  leur  seruent  à  fumer:  les  femmes 
font  les  pots  de  terre,  comme  aussi  quantité  de 
petits  ouurages  propres  à  leurs  vsages,  que  ie 
ne  d'ecriray  point  pour  n'estre  connu  en  Fran- 
ee.  Elles  seruent  de  porte-faix,  et  il  faut  que  ce 
soit  elles  qui  portent  tout  ce  qu'il  y  a  à  porter, 
l'ay  appris  depuis  peu  que  les  Iroquois  et 
les  Iroquoise.  se  font  servir  par  leurs  esclaues, 
qu'ils  ont  en  grand  nombre  tant  d'hommes 
que  de  femmes. 


106 


Mœvrs  et  Prodvctions 


I 

tONTINUATION  SUR  LE  MESME  SUJET- 


-CONTKKNANT- 


L  E  MA  RI  ÂGE  DES  SA  UUA  G  ES. 


i 


Disons  vu  petit  mot  de  leurs  Mariages. 
Lorsqu'vn  garçon  a  dessein  d'épouser  vne 
tille,  il  l'a  va  voir,  il  la  caresse,  mais  iamais 
auec  indécence,  ce  seroit  vn  crime  parmy 
eux  :  il  luy  parle  en  particulier,  et  quand  il 
Ta  enfin  gagnée,  il  luy  fait  des  presens  de  ce 
qu'ils  ont  de  plus  rare  ;  et  quand  tout  est 


De  la  Novve/ le- France. 


107 


d'accord,  il  va  demeurer  dans  la  cabane  de  la 
fille,  car  la  femme  ne  va  point  demeurer  chez 
le  mary,  mais  le  mary  chez  la  femme. 

Parmy  les  Hurons,  vn  mariage  n'est  pas 
tenu  pour  un  véritable  mariage,  maisplustost 
pour  débauche,  si  les  père,  et  mère  du  ieuuci 
homme  n'ont  esté  demander  aux  pareus  de  la 
fille  celle  qu'ils  désirent  auoir  pour  femmi^s  A 
leurs  enfans  ;  ce  qui  se  fait  donnant  quelque 
riche  présent  aux  parens  de  la  fille. 

Ils  demeurent  quelques  fois  longtems  ensem- 
ble deuant  que  de  consommer  le  mariage  :  et 
l'on  dit  vne  chose  admirable  des  Algonquins, 
qui  est,  que  souuent  ils  demeurent  un  an  et 
d'auantage,  aiiant  que  le  consommer  :  il  ne 
se  passe  rien  parmy  eux  qui  ne  soit  dans 
l'honnesteté,  et  rien  de  dissolu  dans  ces  ren- 
contres, quoy  qu'ils  soient  naturellement 
grands    railleurs,  et   qu'ils  ayent    plusieurs 


1 


fa 


10» 


Mœurs  et  Prodvctions 


mots  à  double  eutente,  mais  il  ne  s'en  ser- 
uent  pas  dans  ces  rencontres. 

Quoy  que  la  polygamie  ne  soit  pas  dé- 
fendue parmy  eux,  rarement  voyez-vous  vn 
homme  auoîr  deux  femmes,  surtout  parmy 
les  Hurons  et  les  Iroquois  :  car  cela  se  ren- 
contre quelquefois  chez  les  Algonquins, 

Le  diuorce  n'est  point  une  chose  odieuse 
chez  les  Saunages,  vh  homme  pouaut  répudier 
facilement  sa  femmi),  et  la  femme  son  mary 
Û'entens  parler  de  ceux  qui  ne  sont  point 
Chrestien)  cela  se  fait  sans  bruit  :  car  quand 
la  femme  répudie  son  mary,  elle  n'a  qu'à  luy 
dire  qu'il  sorte  de  sa  maison,  et  il  s'en  va 
sans  rien  dire  autre  chose,  et  y  laissent  tout  ce 
qu'il  y  a  apporté,  à  la  reserue  de  ses  habits. 
Tout  de  mesme,  si  le  mary  veut  répudier  sa 
femme,  il  se  retire   après  lui  auoir  déclaré 


De  la  Norrefle-France. 


109 


qu'il  la  quitte  :  s'ils  ont  des  eufiiiis,  ils  demeu- 
rent tous  à  la  femme.  Ces  diuorces  arriuent 
rarement,  parceque  chacun  est  sur  ses  g-ardes, 
s'empeschant  de  donner  du  mécontentement 
à  sa  partie,  crainte  de  l'obliger  à  la  séparation. 

Ils  ne  sont  pas  beaucoup  sujets  à  la  ialousie, 
surtout  les  Iroquois 

Ils  ont  des  jeux  parmy  eux  de  diuerses 
sortes,  les  plus  communs  sont  les  jeux  de 
paille,  et  le  jeu  du  plat,  et  vn  troisième  qu'ils 
nomment  paquessen. . 

Ce  jeu  de  paille  se  fait  en  effet  auec  de  pe- 
tites pailles  qui  sont  faites  exprés,  et  qui  se 
partagent  en  trois,  comme  au  hazard,  fort 
inégalement.  Nos  François  ne  Tout  pu  encore 
bien  apprendre,  il  est  plein  d'esprit  ;  et  ces 
pailles  sont  parmy  eux,  ce  que  les  cartes  sont 
parmy  nous. 


110 


Mcevrs  et  Prodvdians 


Le  jeu  du  plat  sont  neuf  petits  os  plats  et 
ronds  comme  des  noyaux  do  posche,  que  l'on 
auroit  lissez  et  applatis,  qui  sont  noirs  dVn 
costé,  et  blanc  de  l'autre,  que  l'on  remue  et 
que  l'on  fait  sauter  dans  vn  grand  plat  de 
bois,  qu'enfin  on  arreste  en  frappant  la  terre, 
le  tenant  auec  les  deux  mains  :  la  perte  ou  le 
gain  dépend  d'vn  certain  nombre  qui  se  trou- 
ue  tout  d'vne  couleur. 

Le  jeu  paqucssen  est  presque  la  mesme 
chose,  sinon  qu'on  iette  ces  petits  os  en  l'air 
auec  la  main,  retombans  sur  vue  robe  esten- 
due  en  terre,  qui  sert  comme  de  tapis  ;  le  nom- 
bre tout  d'vne  couleur  fait  la  perte  ou  le  gain. 

Ils  se  festinent  aussi  les  vns  les  autres,  la 

façon  est  telle.  Celuy  qui  veut  faire  festin 
fait  mettre  vne  grande  chaudière  sur  le 
feu,  ou  deux,  ou  trois,  selon  le  monde  qu'il 
veut  traiter  :  dans  lesquelles  chaudières  on 
met  de  la  viande  ou  du  poisson,  et  ensuite  de 


De  la  No vvelle- France. 


111 


la  farine  de  bled-d'Inde  :  quand  cela  est  cuit, 
celuy  qui  fait  le  festin  enuoye  conuier  ceux 
qu'il  désire  qui  y  soient  ,  ils  y  viennent  auec 
vn  plat  et  vne  cuillère.  Ils  entrent  dans  la  ca- 
bane sans  dire  mot,et  s'arrangent  sur  leurs  der- 
rières comme  ^  ^s  guenons  :  cependant  le  Mais- 
tre  du  festin  chante  toujours  iusques  à  ce  que 
tous  les  canniez  soient  entrez,  car  il  ne  leur 
fait  aucune  cérémonie  :  alors  il  prend  la  parole 
et  dit  le  fais  festin  :  que  s'il  désire  gratifier  et 
faire  honneur  ou  à  son  fils  ou  à  quelqu'autre, 
il  le  déclarera,  disant,  c'est  vn  tel  qui  fait  fes- 
tin :  alors  tous  les  assistans  répondent  vn  cer- 
tain hô,  qui  est  comme  vn  espèce  de  remer- 
ciement :  il  continue  et  dit.  il  y  a  tant  de 
chaudières,  selon  le  nombre  qu'il  y  aura  :  on 
luy  repond  encore  hô  :  c'est  d'vne  telle  vian- 
de, et  tuée  par  vn  tel  :  à  chaque  article  on  fait 
tousiours  la  mesme  réponse  hô  ;  et  ainsi  con- 
secutiuement  il  déclare  tout  ce  qu'il  y  a  dans 


iir 


112 


Mœvrs  et  Prodvctions 


'Va: 


r?* 


le   festin,   et  on  répond  tousiours   la  mesme 
chose,  hô,  hô. 

Ensuite  il  dit,  le  sauhaitte  qu'vn  tel  nom- 
bre de  vous  autres  chante,*  vn  tel,  vn  tel,  et 
vn  tel  :  et  souuent  il  commence  à  chanter,  et 
les  vns  après  les  autres  chantent  iusques  au 
nombre  qu'il  a  souhaité.  ' 

La  personne  qui  chante  se  leue,  faisant 
diverses  postures  gestes  en  chantant.  Cette 
façon  de  chanter  n'est  point  harmonieuse 
auec  douceur,  mais  elle  est  comme  de  gens 
qui  s'excitent  à  la  colère,  et  mesme  ils  font 
cpielquesfois  des  signes  de  frapper:  ils  raconte- 
ront dans  ces  chansons  martiales,  leurs  prou- 
esses, et  les  hommes  qu'ils  ont  tué  en  guerre, 
ou  les  desseins  qu'ils  ont  d'aller  en  guerre 
pour  venger  la  mort  de  quelqu'vn  de  leurs 
parens,  ou  de  quelque  homme  considérable. 
Ce  qui  les  y  engagent  par  honneur  ;  et  sou- 
uent ce\;ix  qui  suiuent  à  chanter,  s'engagent 


De  la  NovveUe.France 


113 


en  chantant  à  les  suiure  à    la  c'uerre    et   -i 
mourir  auec  eux. 

Apres  que  tous  ont  chanté  on  dresse  la 
chaudière,  c'est  à  dire  qu'on  prend  les  plats 
d'vn  chacun,  et  on  met  de  la  sagamité  dedans  ; 
s'il  y  a  de  viande,  on  en  distribue  à  chacun 
de  ceux  qu'on  désire  honorer  et  gratifier  vn 
morceau  :  les  morceaux  les  plus  délicats  sont 
pour  les  Capitaines  ;  celuy  qui  fait  festin  ne 
mange  point,  mais  il  chante  pendant  que  les 
autres  mangent.  Si  ce  sont  des  Algonquins, 
ils  peunent  emporter  leur  plat  de  sagamité 
chez  eux  ;  mais  chez  les  Iroquois  et  Hurous, 
cela  n'est  pas  permis,  il  faut  tout  manger  ce 
qui  vous  est  seruy,  c'est  d'où  vient  qu'ils  por- 
tent des  plats  fort  petits  :  car  on  n'ose  pas  sor- 
tir  de  la  cabane  auant  que  d'auoir  vidé  son 
plat,  à  moia  que  de  frire  quelque  petit  pré- 
sent au  Maistre  du  festin,  vn  couteau, vne 
alesne,  vn  pain  de  petun.  Les  femmes  v  eorit 


114 


Mœvrs  et  Prodvctious 


>■  1  8 


moins  appelées  que  les  hommes,  surtout  chez 
les  Iroquois  et  les  Hurons. 

Il  se  fait  quelquesfois  parmy  eux  des  fes- 
tins tres-consid érables  :  il  s'en  fit  vn  du  temps 
que  i'estois  aux  Hurons,  de  la  chair  de  cin- 
quantes  cerfs,  dans  cinquante  chaudières. 

Ils  ont  aussi  des  danses  parmy  eux  qui 
ne  ressemblent  en  rien  aux  nostres,  car  elle 
ne  consiste  qu'à  vne  certaine  façon  de  se 
secouer  le  corps,  frapans  des  pieds  contre  ter- 
re, et  faisans  beaucoup  d'autres  postures  auec 
reigle,  et  à  la  cadence  d'vn  petit  tambour  ou 
autre  instrument,  qui  fait  vn  petit  bruit  sourd  : 
ils  vont  si  bien  à  la  cadence,  qu'on  ne  voit 
point  de  confusion  ny  de  desordre,  quoy  qu'il 
soient  quelquesfois  plus  de  deux  cens  à  dan- 
ser ensemble  ;  ils  frappent  tous  du  pied  en- 
mesme  temps,  et  si  à  propos,  que  l'on  diroit 
qu'il  n'y  a  qu'vne  personne  qui  danse. 

Ces  danses  se  font  ordinairement  pour  quel- 


De  la  Nowelle- France. 


115 


ques  réjouissances  publiques,   comme  seroit 

quelques  victoires  remportées  sur  rennemy 

ou  vn  traité  de  paix  nouuellemènt  conclu  ;  il 

s'en  fait  bien  aussi  quelquefois  chez  des  par- 
ticuliers entre  amis  ;  mais  cela  n'est  pas  bien 
•dinaire. 

Les  peuples  sédentaires  ont  des  Officiers 
pour  toute  sorte  de  choses,  qu'il  appellent  Ca- 
pitaines ou  gens  considérables  ;  les  principaux 
sont  pour  la  police,  les  autres  pour  la  guerre; 
il  y  en  a  d'autres  qui  ne  sont  que  pour  auer- 
tir,  et  qui  seruent  comme  de  tambours  et  de 
trompettes  :  les  vns  vont  crier  pas  les  rues  du 
bourg  le  soir  ou  le  matin,  les  noms  de  ceux 

qui  sont  morts,  ou  le  jour  ou  la  nuit  ;  d'autres 
ont  soin  de  faire  les  préparatifs  pour  brusler 
les  prisonniers  :  d'autres  ont  ordre  d'auertir  de 
se  trouuer  au  Conseil  quand  il  se  doit  tenir  : 
quelques  autres  ont  charge  d'avertir  par  le 
bourg  quand  ont  doit  faire  quelques  réjouis- 


116 


Mœvrs  et  Prodvctùms. 


.  !*■ 


sances  ou  danses  publiques,  ainsi  de  tout  le 
reste,  et  tout  cela  sans  confusion  ny  desor- 
dre.  „  ,.    .  y   ■■  .,.".  ;-,;  :..  ^    ;  ^.    ^ 

Ils  n'ont  point  de  Religion,  raais  ils  sont 
fort  supertitieux,  et  ajoustent  foy  à  leurs  son- 
ges :  c'est  ce  qui  donne  plus  de  peine  aux  Pè- 
res lesuites  qui  les  instraisent. 

Ils  croyent  l'immortalité  de  l'Ame,  et  disen:^ 
qu'elle  va  après  la  mort  dans  vn  beau  pays  ; 
que  deuant  que  d'y  arriuer,  il  faut  passer  vne 
riuiere  où  il  y  a  vn  certain  qui  perce  la  teste  à 
tous  les  passans,  et  leur  arrache  la  ceruelle,  ce 
qui  fait  qu'ils  ne  se  souuiennent  plus  de  rien. 

Ils  ont  quantité  de  fables  qu'ils  racontent, 
et  en  toutes  on  y  remarque  tousiours  quelque 
chose  qui  a  du  rapport  à  quelques-vnes  des 
histoires  de  l'ancien  Testament. 

Ils  ont  connaissance  des  Esprits,  ont  vne 
grande  auersion  des  Sorciers  ;  et  quand  quel- 
qu'vn  en  est  accusé,  et  qu'on  croit  qu'il  le  soit 


De  la  Nowelle-France. 


117 


il  est  aussitost  tué  ou  bruslé  comme  un  eiinemy 
Ils  sont  fort  aumosniers  et  logent  facile- 
ment les  Estrangers  et  Voyageurs,  sans  espé- 
rance d'aucun  salaire,  et  il  y  en  a  plusieurs 
qui  quittent  leurs  lits,  ou  pour  mieux  dire,  la 
place  où  ils  couchent,  leur  donnent  à  mander 
ce  qu'ils  ont  de  meilleur,  et  cela  assez  souuent 
à  vn  homme  qu'il  n'ont  jamais  veu,  et  qu'ils 
ne  verront  peut-estre  iamais  et  qui  s'en  ira 
sans  leurs  dire  grand-mercy,  cela  est  particu- 
lièrement dans  les  Nations  sédentaires. 

Quand  il  y  a  quelque  famille  qui  est  tom- 
bée en  nécessité  de  viures,  il  y  a  des  Capitai- 
nes qui  vont  par  le  Bourg  ramasser  du  bled 
pour  la  subsistance  de  ces  pauvres  gens,  cha- 
cun donne,  qui  plus,  qui  moins,  selon  son 
pouuoir.  ^ 

Ils  ne  sont  pas  vilains  les  vnsenuers  les  au- 
tres ;  quand  ils  sont  tué  au  pesohé,  ils  en  font 


118 


Mœvrs  et  Productions 


.   f 


dos  largesses,  soit  en  faisant  festin,  ou  en  en- 
uoyant  chez  les  particuliers. 

Ils  sont  pitoyable,  et  se  portent  compassion 
les  vns  aux  autres. 

t' 

Ils  aiment  fort  leurs  parens,  et  les  pleurent 
long-tems  après  qu'ils  sont  morts  :  quand  ils 
les  enterrent  ils  mettent  auec  eux  ce  qu'ils 
aymoient  le  plus  pendant  leur  vie,  et  ce  qu'il 
estiment  de  plus  précieux  parmy  leurs  meu- 
bles. - 

Ils  ont  presque  tous  le  sens  commun  assez 
bon,  et  raisonnent  fort  bien  ;  cela  se  void  dans 
leurs  conseils,  et  dans  leurs  harangues  qu'il 
font  souuent  en  toutes  sortes  d'occasiens. 

Tous  les  Saunages  qui  sont  proches  des  Eu- 
rope' -o  Tvionnent  yurongnes,  et  cela  fait 
bie.:  ■  "  ■  fï  nostres  :  car  de  quantité  qui  es- 
taient fort  bon  Chrestiens,  plusieurs  se  sont 
relaschez.  Les  Pères  lesuites  ont  fait  ce  qu'il 


De  la  Nowelle- France. 


119 


ont  pu  pour  empescher  ce  mal  :  car  les  Sau- 
nages  ne  boiuent   que  pour   s'euyurer   ;    et 
quand  ils  ont  commencer  à  boires,  ils  donne- 
roient  tout  ce  que  Ton  voudroit  pour  vue  bou- 
teille d'eau-de-vie,  afin  d'acheuer  de  s'enyurer. 
La  guerre  qu'ils  se  font  les  vns  aux  autres, 
ne  se  fait  point  pour  conquérir  des  terres,  ny 
pour  devenir  plus  grands  Seigneurs,  ny  mesme 
pour  l'interest,  mais  par  pure  vengeance  :  aussi 
ne  parlent-ils  point  autrement  ;  car  ils  disent, 
ie   m'en  vay  en  guerre  pour  vanger  la  mort 
d'vn  tel,  et  c'est  d'où   vient  qu'ils   traitent 
si  cruellement  leurs  prisonniers,  et  ne   visent 
iamais  qu'à  détruire  et  faire  périr  vue  Nation 
toute  entière. 


120 


Mœvrs  et  Prodvctions 


■-r- 


# 


LA  MANIERE 


QUE  LES  SAUUAGES  FONT  LA  GUERRE. 


:o: 


..  * 


CHAPITRE  XI 


■:o: 


Ceux  qui  vont  en  guerre  ne  sont  souldoyoz 
de  personne  ;  chacun  y  va  à  ses  dépens,  et  se 
doit  fournir  d'armes,  de  viures  de  munitions, 
et  autres  choses  nécessaires  pour  la  guerre. 

La  façon  qu'ils  font  les  leuées,  ki  voicy  ;  Vn 
Capitaine  fait  festin,  (on  appelle  cela  prendre 
la  chaudière  ),  il  inuite  à  son  festin  tous  les 
ieunes  gens  de  son  bourg,  il  leur  déclare  qu'il 
a  dessein  d'aller  en  guerre  pour  vanger  la 
mort  d'vn  tel  ou  d'vne  telle  :  il  exhorte  ceux 


De  la  Novvel le- France. 


121 


qui  sont  de  ses  amis  de  Taccompagner  :  après 
qu'il  a  dit  le  mieux  qu*il  a  pu  là  dessus,  et 
que  le  festin  est  manger,  chacun  s'en  va  ;  après 
quoy  ceux  qui  ont  enuie  de  l'accompagner 
viennent  les  vns  après  les  autres  luy  faire  of- 
fre de  leurs  seruices,  en  luy  disant,  vn  tel  mon 
oncle  (car  c'est  comme  ils  traitent  d'ordinaire 
ceux  qu'ils  estiment  plus  qu'eux)  ou  bien  mon 
frère  (s'il  sont  égaux)  ie  viens  tè  dire  que  ie 
veux  risquer  avec  toy  en  ton  dessein  de  la 
guerre.  '   ;        *  ,  i^^     >  r 

En  même  temps  chacun  fait  disposer  ces 
viures,  et  on  se  tient  prest  pour  le  iour  assigné 
du  départ.  -'  ^   :    r^       ■■  ..     . 

Quand  ils  ont  de  grandes  entreprises  à  faire, 
cela  se  délibère  longtemps  auparauant  dans 
le  Conseil  des  Anciens  et  des  principaux  Ca- 
pitaines ;  et  l'affaire  estant  vne  fois  conclue', 
et  qu'on  a  choisi  celuy  à  qui  on  veut  donner 


122 


Mœvrs  et  Prodvctians 


V-;.' 


la  conduite  de  Texpédition,  vn  Officier  va 
crier  par  le  bourg,  que  l'on  va  à  la  guerre,  et 
que  Ton  exhorte  toute  la  jeuness  à  aller  dans 
Tarmée.  Les  Capitaines  de  tous  les  Villages 
qui  ont  assisté  au  Conseil  en  font  faire  au- 
tant chez  eux  :  à  mesure  que  les  ieunes  gens 
se  délibèrent,  ils  en  auertissent  le  Capitaine 
qui  est  chef  de  l'entreprise. 

Apres  cela  on  enuoye  des  Députez  auec  des 
presens  chez  tous  les  Alliez  les  plus  proches, 
pour  les  prier  de  les  assister  dans  leurs  des- 
seins. Ils  tiennent  Conseil  là  dessus,  ils  voyent 
ce  qu'ils  peuuent  donner  de  monde,  ou  plu- 
tost  ils  exhortent  leur  ieunesse  à  aller  ioindre 
le  gros.    ,::,_■;..-.-        ,.  v.;-'  .  r,         V.-  •'■; 

Quand  ils  sont  tous  assemblez,  et  qu'ils 
marchent,  ils  ont  toujours  des  decouureur  qui 
vont  deuant  ;  chaque  Village  qui  a  fourny  du 
monde,  a  des  Capitaines  qui  les  commandent  ; 


De  la  Nowelle- France. 


123 


et  tous  ces  Capitaines  là  s'assemblent  souuent 
pour  tenir  conseil  sur  toutes  sortes  de  choses  : 
car  ils  ne  négligent  rien. 

Ils  exhortent  souuent  leurs  soldats  à  tenir 
bon  à  l'occasion,  et  ne  point  s'enfuyr,  leur  re- 
présentant que  les  gens  de  cœur  et  de  courage 
ne  s'enfuyent  iamais. 

Il  n'y  a  point  de  chastiment  chez  eux  pour 
ceux  qui  sont  se  enfuys,  sinon  qu'on  les  qua- 
lifie de  poltron,  mais  encore  tout  bas. 

Quand  ils  rencontrent  l'Ennemy  et  qu'on 
est  aux  prises,  les  Capitaines  seruent  de  tam- 
bours et  de  trompettes,  et  crient  sans  cesse, 
Courage  jeunesses,  courage,  ils  sont  à  nous, 
que  personne  ne  fuye  :  cela  les  anime  beau- 
coup ;  car  ils  respectent  fort  leurs  Capitaines. 

Ils  sont  adroits  à  surprendre  et  à  dresser  vne 
ambuscade  :  ils  ne  se  prennent  pas  mal  à  fai- 
re vne  retraite  honorable,  quand  il  se  voyent 


124 


Mœvrs  et  Productions 


pressez  :  ils  nous  l'ont  fait  voir  pas  expérience. 

Ils  sont  vigoreux  d'abord,  mais  ils  ne  font 
pas  de  longue  résistance.  Ce  sont  pas  ausni 
gens  k  se  battre  en  raze  campagne.  Ils  ne 
commence  iamais  de  combats,  qu'ils  ne  fas- 
sent auparauant  vn  cry  tous  ensemble  pour 
estonner  leurs  Ennemis  d'abord.        .  .       i    i; 

Ils  sont  adroite  à  manier  les  armes  à  feu, 
tirent  fort  bien  vn  coup  de  fusil.  Ils  ont  dos 
simples  parmy  eux,  qui  sont  excellens  pour 
guarir  les  blessures  ;  surtout  d'armes  à  feu. 
.  Ils  sont  de  grande  fatigue  et  bien  dispos  : 
ils  vont  fort  bien  du  pied,  et.  ont  vne  addresse 
toute  particulière  à  se  reconnoistre  dans  les 
bois,  et  ne  s'y  perdent  quasi  iamais.     ^  ,   ^  .  ., 


.'fi 

M 


De  la  No vvelle- France. 


125 


I  ; 


,.        .      DE  LA  FAÇON 
QU'IL  TRAITENT    LES  PRISONNIERS 

.      '  DE  GUERRE. 

i  •  .V. 

CHÂPITRI  XII 


I  •'  i  ■ 


— :o: — 


Quand  ils  ont  pris  des  prisonniers,  ils  leur 
coupent  quelques  doigts  d'abord  :  ils  les  lient 
par  les  bras  et  les  jambes  auec  des  cordes  : 
sinon  que  lorsqu'il  faut  marcher,  Ils  leur  lais- 
sent les  jambes  libres. 

Le  soir  quand  ils  cabanent,  ils  font  coucher 
le  prisonnier  sur  le  dos  contre  terre,  et  ils 
plantent  de  petits  pieux  en  terre,  au  droit  des 
pieds,  des  mains  du  col,  et  de  la  teste  :  ensui- 
te ils  lient  le  prisonnier  à  ces  pieux,  de  sorte 
qu'il  ne  peut  remuer  ;  ce  qui  est  vne  peine 
plus  grande  que  l'on  ne  pourroit  croire,  prin- 
cipalement l'Esté,  à  cause  des  Maringoins  qui 
les  mangent,  car  ils  sont  nuds. 


126 


Mœvrs  et  Pfodvcêions 


Arriuant  à  Tentrée  des  Bourgades,  tout  le 
peuple  vient  au-deuant  ;  il  est  libre  à  vn  cha- 
cun de  leur  faire  tout  le  mal  qu'ils  voudront, 
à  la  reserue  de  les  tuer  .  alors  vous  y  voyez 
les  vus  armez  de  cousteaux,  soit  pour  couper 
des  doigts,  soit  pour  faire  des  incisions  le  long 
des  bras,  du  dos,  et  autre  parties  charnues, 
le  prisonniers  estant  tout  nud  ;  d'autres  ont 
des  bastons,  de  quoy  ils  les  bastonnent.  Il  y 
en  a  qui  ont  des  verges,  des  ronce  et  des  bouts 
de  cordes.  Auec  tous  ses  instrumens,  on  le  ca- 
resse A  son  entrée  :  car  c'est  leur  façons  de  par- 
1er. 

^  Il  faut  pendant  tout  ce  tems-là  que  le  pri- 
sonnier chante,  s'il  veut  paroistre  homme  de  > 
i  œur  et  de  courage.  Et  en  effet,  les  Saunages 
ne  manque  iamais  de  chanter  pendant  tout  le 
temps  qu'on  les  tourmente  ;  (mais  ce  chant 
t^st  vn  chant  lugubre). 


\ 


De  la  Nowelle-France 


121 


Apres  qu'ils  sont  entrez  dans  le  bourg,  on 
les  mené  de  cabane  en  cabane  ;  chez  les  prin- 
cipaux, et  partout  là  il  faut  qu'il  chantent. 

Apres  vu  iour  ou  deux  qui  se  sont  passez 
dans  ces  tristes  préludes,  les  Capitaines  tien- 
nent conseil  pour  le  condamner  à  la  mort,  ou 
luy  donner  la  vie  :  s'il  est  condamné  à  la  mort 
celuy-là  à  qui  il  a  esté  donné  (car   c'est  leur 
coustume  de  les  donner  pour  quelqu'vn  qui 
est  mort  en  guerre).  Celuy-là  dis-je  fait  festin  ; 
et  quand  tous  les  conuiez  sont  assemblez,  il 
leur  dit  ;  Voila  mon  nls  ou  mon  neveu,(8elon 
le  degré  de  parenté  que  luy  estoit  celuy  pour 
qui  le  prisonnier  a  esté  donné),  qui  vous  fait 
son  festin  d'Adieu.  C'est  leur  coustume  quand 
ils  entreprennent  quelque  grand  voyage,  de 
faire  festin  auparauant  que  de  partir,  qu'ils 
appellent  festin  d'Adieu  :  en  suite.le  prisonnier 
chantent,  et  après  luy  vne  partie  des  conuiez 
chantent  aussi' 


\ 


128 


Mœvrs  et  Procf votions 


fi 


Apres  que  Ion  est  retiré,  on  dispose  vne  ca- 
bane pour  brûler  le  prisonnier  :  on  y  fait 
quantité  de  feux  ;  on  aduertit  par  le  bourg  de 
rheure  que  Ton  doit  commencer  à  le  brusler, 
afin  qu'on  s'y  trouue. 

Quand  l'heure  est  venue,  on  y  mené  le  pan- 
ure patient  ;  il  a  les  bras  liez  au  corbs  au  des- 
sus du  coude,  et  vne  corde  aux  jambes  enui- 
ron  de  deux  pieds  de  long,  afin  qu'il  ne  puis- 
se faire  de  plus  grandes  éjambées.  Tous  ces 
gens  sont  arrangez  de  deux  costez  de  la  caba- 
ne :  vous  sçaurez  en  passant,  qu'ils  ne  sçauent 
ce  que  c'est  que  de  cheminée,  et  qu'ils  font  le 
leu  au  milieu  de  la  place.        .  .  i?      '        ,v    :  > 

Ils  laissent  dont  un  petit  chemin  entre  les 
feux  qui  sont  allumez  au  milieu  de  la  cabane 
tout  au  long,  d'espace  en  espace,  et  entre  les 
hommes  qui  sont  rangez  des  deux  costez,  assis 
sur  le  cul  comme  des  Singes  ;  et  c'est  par  où 
doit  courir  le  prisonnier. 


De  la  Novvelk' France. 


129 


le 


es 
le 
es 
sis 
où 


Chacun  a  vn  tison  embrasé,  ou  vn  mor- 
ceau de  fer  tout  rouge  de  feu  :  quand  tout  est 
disposé,  quelques  Capitaines  qui  sont  au  bout 
de  la  cabane  auec  le  prisonnier,  crient  tout 
haut  ;  Voila  le  prisonnier  qui  va  partir,que  cha- 
cun se  dispose  a  bien  faire  ;  mais  qu'on  ne  le 
brusle  jusques  à  la  ceinture. 

Ensuite  on  luy  fait  commandement  de  par- 
tir :  ce  qu'il  fait  courant,  ou  pour  mieux  dire 
trotinant  le  plus  vite  qu'il  peut,  entre  le  feu 
et  ses  bourreaux,  qui  tous  le  bruslent  en  pas- 
sant ;  les  vus  aux  jambes,  ]es  autres  aux  cuis- 
ses ;  mais  cela  auec  vue  barbarie  qui  n'appar- 
tient qu'à  eux. 

Je  vous  auouë  que  c'est  vne  vraie  représen- 
tation d'Enfer,  car  vous  voyez  vne  grande 
cabane  pleine  par  le  milieu  du  feu,  et  toute 
remplie  de  fumée,  où  l'on  ne  voit  goûte  ;  car 
c'est  d'ordinaire  la  nuit  que  cela  se  fait  :  vous 


130 


Mœvrs  et  Productions 


m 


m 

m 


m 


y  voyez  paroistre  vue  multitude  de  monde  ; 
les  vus  sont  assis,  les  autres  dabaut  ;  les  vus 
seruent  de  bourreaux,  les  autres  de  specta- 
teurs, qui  S3  mooqaant  et  S3  rient  du  pauurv3 
patient.  Parmy  tout  cela,  vous  voyez  vn  pan- 
ure misérable  tout  nud,  et  tout  grillé,  aban- 
donné à  la  rage  de  ces  barba  res. 

Apres  qu'ils  luy  ont  fait  faire  le  nombre  des 
tours  de  la  cabane  qui  a  esté  ordonné  par 
les  Anciens,  qui  est  d'ordinaire  de  dix  ou  d3 
douze  ;  la  nuit  estant  presque  passée,  tout  le 
monde  se  retire,  à  la  reserue  di  qualquas-vns, 
qui  damaurent  pour  garder  le  prisonnier  jus- 
ques  au  matin,  que  se  doit  faire  le  reste  de 
l'exécution. 

Pendant  ce  temps  là,  il  est  attaché  à  vn  po- 
teau, et  pas  bien  loin  d'un  grand  feu,  dans 
lequel  rougissent  des  haches,  dont  on  se  sert 
pour  le  bruslsr,  l'interrogeant  de  temps  en 


De  la  No vvdle- France. 


131 


temps  de  Testât  de  son  Pays,  et  des  choses 
qu'ils  désirent  sçauoir  :  et  s'ils  voyent  qu'ils 
dissimulent  quelque  chose,  ils  luy  redoublent 
ses  tourmens  :  c'est  à  quoy  se  passe  le  reste 
de  la  nuit. 

Le  iour  estant  venu,  enuiron  le  Soleil  leuant, 
on  aduertit  les  femmes  d'aller  faire  des  feux 
dans  la  placé  où  est  dressé  l'Echafaut.  l'oubli- 
ois  à  dire  que  dès  qu'un  prisonnier  est  arriué, 
on  luy  en  dresse  vn  ;  soit  qu'on  le  veuille  fai- 
re mourir,  ou  non,  sur  lequel  échafaut  on  le 
fait  monter  plusieur  fois  le  iours,  pour  estro 
exposé  à  la  veuë  du  peuple. 

Quand  tous  ces  feaxsont  faits,  l'on  conduit 
le  patient  sur  cet  échafaut,  au  milieu  duquel 
on  a  planté  vne  grande  p arche,  ou  plustost 
vn  pieu  fort  haut  ;  on  luy  fait  embrasser  ce 
pieu,  luy  liant  les  deux  mains  ensemble.  La 
corda  pareillement  qui  luy  lie  les  deux  jam- 


132 


Mœvrs  et  Prodvctious 


bes,  fait  vn  cercle  autour  de  ce  mesme  pieu  : 
de  sorte  qu'il  peut  tourner  tout  à  lentour  de 
ce  pieu. 

Il  est  là  exposé  tout  nud  ;  il  y  a  quatre 
échelles  aux  quatre  costez  de  l'échafaut  ;  et 
pour  lors,  il  est  libre  a  v  n  chacun  de  montez 
sur  l'échafaut  pour  leiouii^eiitr.  On  ne  man- 
que pas  de  bourreaux,  car  il  y  en  a  assez  : 
Nous  auons  remarqué  que  les  plus  cruels, 
sont  certains  poltrons  qui  ne  vont  iamais  en 
guerre.  ^ 

IIf  le  montent  donc  sur  l'échafaut,  et  ils 
le  bruslent  auec  de  tisons  ;  mais  auec  autant 
de  froideur,  qui  si  c'étoit  vn  morceau  de 
bois.  . 

Apres  deux  ou  trois  heures  qu'ils  l'on  tour- 
menté de  la  sorte,  et  qu'il  ne  ressemble  qu'à 
vn  charbon,  ils  luy  écorchent  la  teste,  pour 
luy  leuer  la  cheuelure  :  c'est  ce  qu'ils  font  à 


De  la  Novvel le. France 


133 


tous  cenx  qu'ils  tuent  en  guerre,  ou  qu'ils 
bruslent  chez  eux.  Ensuite  s'il  reste  de  la  vie 
au  patient,  ils  luy  coupent  le  col  auec  vn 
Cousteau,  luy  fondent  la  poitrine,  et  luy  en 
tirent  le  cœur  ;  et  si  ça  esté  vn  homme  coura- 
geux, qui  n'ait  fait  aucun  cry  pendant  qu'on 
l'a  tourmenté,  il  y  en  a  qui  boiuent  de  son 
fsang  pour  s'incorporer  son  courage. 

Ensuite  on  le  coupe  par  quartiers,  et  on  le 

jette  à  la  voirie  ;  ou  quelquesfois  ils  le  font 
cuire,  et  le  mangent  par  rage.  :  v 

Quand  les  Capitaines  ont  résolu  de  donner 
la  vie  au  prisonnier,  et  que  celuy  à  qui  il 
a  esté  donné  y  consent,  (car  il  y  peut  plus  que 
pas  vn  autre) ,  on  va  aussitost  le  délier,  on  le  pu- 
blie par  le  Bourg,  et  pour  lors  on  le  traite  bien 
personne  n'oseroit  plus  ^uy  faire  de  mal,  quoy 
qu'on  ne  laisse  pas  de  le  regarder  comme  vn 
esclaue,  et  il  est  obligé  de  seruir  celui  à  qui 


134 


Mœvrs  et  Productions} 


i 


il  a  esté  donné  en  cette  qualité-là.  Il  est  en 
seureté  pour  sa  vie,  pourvu  qu'il  ne  soit  pas 
soupçonné  de  se  vouloir  souuer,  et  qu'il  ne 
désobéisse  î)oint,  à  ce  qu'on  luy  commende  ; 
que  s'il  est  soupçonné  de  se  vouloir  sauuer, 
aussitost  on  luy  fent  la  teste  auec  vne  hache  : 
on  luy  en  fait  tout  autant  quand  il  fait  diffi- 
culté d'obeyr. 

Si  Dieu  nous  fait  la  grâce  d'estre  vn  iour 
les  maistres,  il  sera  aisé  de  leur  oster  ces  Bar- 
bares coustumes,  et  de  les  rendre  plus  policez  : 
car  comme  j'ay  desia  dit,  ils  ont  le  sens  com- 
mun fort  bon,  et  ils  se  laissent  assez  facilement 
gagner  à  la  raison  ;  et  quand  ils  sont  vne  fois 
conuaincus  d'une  chose,  ils  ont  peine  d'un  dé- 
mordre;témoins  ces  pauures  misérables  Hurons 
et  Huronnes  qui  ont  esté  faits  captifs  par  les 
Iroquois,  et  qui  auoient  esté  instruits  et  bap- 
tisez par  les  Pères  lesuites  qui  gardent  auec 


De  la  Nowelle- France. 


135 


Le- 


tant  de  fermeté  et  de  constance  leur  religion  au 
milieu  de  leurs  Ennemis,  et  qui  font  honte  à 
beaucoup  de  libertins  François  qui  ne  se  sont 
pas  comportez  si  religieusement  parmy  les 
Ennemis,  comme  ces  panures  gens  qui  volent 
de  joye  quand  ils  peuueut  rencontrer  vn  Père 
lesuite  pour  se  confesser  et  receuoir  leurs  sa- 
cre mens. 

— ^o: —  \        ; 

Réponses laux  Questions  qui  ont   este 
faite  a  L'autheur  lorsqu'il 
estoit  en  France 

■  j  ■^-.^i  «O.  ■     5   :  '.  ■;._;  ; . 

CHAPITRE  Xm 

Pendant  mon  séjour  en  France,  il  m'a  esté 
fait  diuerses  questions  par  plusieurs  honnestes 
gens,  concernant  les  pays  de  la  Nouuelle-Fran- 
ce.  l'ay  creu  que  i'obligerois  le  Lecteur  curieux 
de  les  mettre  icy,  et  d'en  faire  vn  Chapitro  ex- 


136 


Mœvrs  et  Prodvdians 


près,  auec  les  réponses,  qui  donneront  beau- 
coup d'intelligence  et  de  connoissance  à  ceux 
qui  ont  de  l'affection  pour  ce  pays  icy,  ou  qui 
souhaiteroient  d'y  venir. 

le  commenceray  donc  par  vne  assez  com- 
mune, qui  est,  si  la  vigne  y  vient  bien.  l'ay 
déjà  dit  que  les  vignes  saunages  y  sont  en 
abondance,  et  que  mesme  on  en  a  éprouué  de 
celle  de  France,  qui  y  |vient  assez  bien. 
Mais  pourquoy  ne  faites-vous  donc  pas  des 
vignes  ?  le  répons  à  cela,  qu'il  faut  manger 
auant  que  de  boire  ;  et  par  ainsi  qu'il  faut 
songer  à  faire  du  bled  auant  que  de  planter 
de  la  vigne  :  on  se  passe  mieux  de  vin  que 
de  pain  ;  c'est  tout  ce  qu'on  a  pu  fp?re  que  de 
défricher  des  terres  pour  faire  de  grains  et 
non  autre  chose. 

Le  vin  y  est-il  cher  ?  le  répons,  qu'il  y  vaut 
dix  sols  la  pinte  ;  l'eau  de  vie  y  vaut  trente 


De  la  Novveï le- France. 


137 


» 


it 


sols  la  pinte  et  le  vin  d'Espagne  y  vaut  autant: 
la  mesure  est  semblable  à  celle  de  Paris. 

Le  bled  y  eàt-il  cher  ?  Le  from(;nt  y  vaut 
cent  sols  le  minots,  pesant  soixante  liures  :  et 
quelquesfois  il  vaut  six  francs. 

Les  pois  y  valent  vn  écu  le  minot,  et  quel- 
quefois iusques  à  quatre  francs. 

Les  iournées  des  hommes  y  sont-elles  chè- 
res ?  Vingt  sols  estant  nourris  pendant  l'hy- 
uer,  et  trente  sols  estant  nourris  pendant  l'Esté. 

Y  a-t-il  des  chenaux  dans  le  Pays  ?  le  ré- 
pons que  non. 

N'y  a-t-il  pas  des  prairies  pour  faire  du  foin  ? 
l'auoine  n'y  vient-elle  pas  bien  ?  Parfaitement 

bien,  et  il  y  a  de  très-belles  prairies  :  mais   il 

est  assez  dangereux  d'auoir  le  foin,  tant  que 

les  Iroquois  nous  feront  la  guerre,  et  surtout 

aux  habitation  des  Trois-Riuieres  et  du  Mont 

Royal  :    car  les  faucheur  et  les  feneurs  son 


!,î 


V9  l 


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I  ; 


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138 


3Iœvrs  et  Prodvdion^ 


toujours  en  danger  d'estre  tuez  par  ces  Iroquois 
Voila  la  raison  pourquoy  on  lait  moins  de 
foin,  quoy  que  nous  ayons  de  belles  et  gran- 
des prairies,  ou  il  y  a  de  très-bonne  herbe  pro- 
pre à  ce  faire.  Mais  il  y^,a  encore  vue  autre* 
raison  qui  erapesche  d'auoir  des  chenaux,  c'est 
qu'il  cousteroit  beaucoup  pour  les  .faire  venir 
de  France  :  il  y  a  peu  de  personnes  qui  ayent 
de  quoy  faire  ces  dépenses  :  et  d'ailleurs  ou 
craint  qu'estant  venus  les  Iroquois  ne  les  tuent 
lomme  ils  font  de  nos  autres  bestiaux,  ce  qui 
seroit  bien  fascheux  à  celui  qui  auroit  fait  la 
dépense  de  les  faire  venir.  Et  puis  on  espère 
toujours  que  nostre  bon  Roy  assistera  ce  pays 
icy,  et  qu'il  fera  destruire  cette  canaille  d'Iro- 
quois. 

Y  a-t-il  bien  des  habitants  ?  A  cela  ie  ne 
peux  rien  répondre  d'asseuré,  sinon  que  l'on 
m'a  dit  qu'il  y  en  auoit  enuirons  huit  cens  à 


De  la  Nowelle-Frunct 


131) 


père 
pays 
riro- 


iie 
ll'oii 

is  à 


Ouebec,  pour  les  autres  habitations  il  n'y  en 
a  pas  tant. 

Les  habitants  ont-ils  bien  des  enfans  ?  Ouy, 
qui  viennent  bien  faits,  grands  et  robustes, 
aussi  bien  les  filles  que  les  garçons  :  ils  ont 
eommunéuK^nt  l'esprit  assez  bon,  mais  vn  peu 
libertins,  c'est-à-dire  qu'on  a  de  la  peine  à  les 
vptiuer  pour  les  estudes. 

Pourquoy  ne  lait-on  pas  quantité  de  chan- 
vres puisqu'il  vient  si  bien  ?  La  mesme  raison 
que  i'ay  apporté  pour  la  vigne,  ie  l'apporte 
pour  le  chanvre,  sçauoir  que  nous  n'auons 
songé  qu'au  bled  iusques  à  maintenant  com- 
me le  plus  nécessaire,  î'ajouste  seulement  que 
nous  somme  trop  peu  de  monde,  car  après  la 
défaite  de  Tlroquois,  il  ne  manquera  que  des 
habitans  icy,  pour  y  auoir  tout  ce  que  l'on 
peut  souhaiter. 


140 


Mœvrs  et  Prodvdiom 


m 


1^ 


Quelle  boisson  boit-on  à  l'ordinaire  ?  Du 
vin  dans  les  meilleures  maisons,  de  la  bierre 
dans  d'autres  :  vn  autre  breuuage  que  l'on 
appelle  du  bouillon,  qui  se  boit  communément 
dans  toute  les  maisons  ?  les  plus  panures  boi- 
uent  de  l'eau,  qui  est  fort  bonne  et  commune 
en  ce  pays  icy.  De  quoy  sont  basties  les 
maison  ?  Les  vues  sont  basties  toutes  de 
|)ierres,  et  couuertes  de  planches  ou  aix  de 
pin  ;  les  autres  sont  basties  de  collomba- 
ges  ou  charpente,  et  massonnnées  entres  les 
deux  ;  d'autre  sont  basties  tout  à  fait  de  bois  ; 
et  toutes  les  dites  maisons  se  couurent  comme 
dit  est,  de  planches. 

Le  chaud  en  Esté  est-il  bien  grand  ?  Il  est 
enuiron  comme  dans  le  pays  d'Aunis. 

Les  froids  y  sont-ils  grands  l'Hyuer  ?  Il  y 
a  quelques  iourjiiées  qui  sont  bien  rudes,  mais 
cela  n'empesche  pas  que  VdW  ne  fasse  ce  que 
l'on  a  à  faire  :  on  s'habille  vn  peu  plus  qu'à 


De  la  Nouvelle- France. 


141 


l'ordinaire,  ou  se  couure  les  mains  de  certaines 
moufles,  appelées  en  ce  pays  icy  des  mitaine  ; 
Ton  fait  bon  feu  dans  les  maisons,  car  le  bois 
ne  couste  rien  icy  qu'à  bûcher  et  à  apporter 
au  feu.  On  se  sert  de  bœufs  pour  le  charrier 
sur  certaines  machines  qu'on  appelle  de  trais- 
nes  :  cela  glisse  sur  la  neige,  et  vn  bœuf  seul 
en  mené  autant  que  deux  bœufs  feroient  en 
Esté  dans  vue  charette.  Et  comme  i'ay  déjà 
dit,  la  pluspart  des  iours  sont  extrêmement 
Si^rains,  et  il  pleut  fort  peu  pendant  l'Hyuer. 
Ce  que  i'y  trouuede  plus  importun,  c'est  qu'il 
faut  nourrir  les  bestiaux  à  l'estable  plus  de 
quatre  mois,  à  cause  que  la  terre  est  couuerte 
de  neiges  pendant  ce  tems-là  :  si  la  neige  nous 
cause  cette  incommodité,  elle  nous  rend  d'vn 
autre  costé  vn  grand  service,  qui  est  qu'elle 
nous  donne  vue  facilité  de  tirer  les  bois  des 
forests,  dont  nous  auons  besoin  pour  les  bas- 
timents,  tant  de  terre  que  d'eau,  et  pour  autres 


142 


Mœvrs  et  Prodvctions 


m 


choses.  Nous  tirons  tout  ce  bois  de  la  forest, 
par  le  moyen  de  ces  traisnes  dont  j'ay  parlé, 
auec  grande  facilité,  et  bien  plus  commodé- 
ment, et  à  beaucoup  moins  de  frais,  que  si 
c'estoit  en  Esté  par  Charette. 

L'air  y  est  extrêmement  sain  en  tout  tenis  : 
mais  surtout  l'Hyuer  :  on  voit  rarement  des 
maladie?  en  ces  Pays  icy  :  il  est  peut  sujet 
aux  bruines  et  aux  brouillards  ;  l'air  y  est  ex- 
tremément  subtil.  A  l'entrée  du  Golfe  et  du 
Fleuue,  les  bruines  y  sont  fréquentes,  à  cau- 
se du  voisinagi>  de  la  mer  :  on  y  voit  fort  peu 
d'orages.  .  . 

Mais  quel  profit  peut-on  faire  là  ?  Qu'en 
peut-on  tirer  ?  C'est  une  question  qui  m  a  es- 
té faite  souuentefois,  et  qui  medonnoitenuie 
de  rire,  toutes  les  fois  qu'on  me  le  faisoit  ;  il 
me   sembloit  voir  des  gens  qui  demandoient 

à  faire  récolte  auent  que  d'auoir  semé.  Apres 
auoir  dit  qye  le  Pays  est  bon,  capable  de  pro- 


De  la  Novvel le- France. 


143 


'U 


i 


•o- 


diiire  toutes  sortes  de  choses  comme  en  Erance, 
qu'on  s'y  porte  bien,  qu'il  n'y  manque  que 
du  monde,  que  le  Pays  est  extrêmement  grand, 
et  qu'infailliblement  il  y  a  de  grandes  riches- 
ses, que  nous  n'auons  pas  peu  découunr,  par- 
ce que  nous  auons  vn  ennemy  qui  nous  tient 
resserré  dans  vn  petit  coin,  et  nous  empesche 
de  nous  écarter  pour  faire  aucune  decouuerte  : 
Ainsi  il  faudrait  qu'il  fust  détruit,  qu'il  vint 
beaucoup  de  monde  dans  ce  Pays  icy,  et  puis 
on  connoistroit  la  richesse  du  Pays  :  mais 
pour  cela,  il  faudroit  que  quelqu'vn  en  fasse 
la  dépence  :  mais  qui  la  fera,  si  ce  n'est  nostre 
bon  Roy  ?  Il  a  témoigné  le  vouloir  faire,  Dieu 
luy  veuille  continuer  sa  bonne  volonté. 

Les  Anglois  nos  voisins  ont  fait  d'abord  de 
grande  dépenses  pour  les  habitations  là  ou 
ils  se  sont  placez  ;  ils  y  ont  jette  force  monde, 
et  l'on  y  compte  à  présent  cinquante  mil  hom- 
mes portant  les  armes  :  c'est  merueille  de  voir 


144 


Mœvrs  et  Productions 


leur  Paye  à  présent  ;  l'on  y  trouue  toutes  sor- 
tes de  choses  comme  en  Europe,  et  la  moitié 
meilleur  marché.  Ils  y  bastissent  quantité  de 
vaisseaux  de  toutes  façons  :  ils  y  font  voloir 
les  mines  de  fer  :  ils  ont  de  belles  Villes  :  il  y 
a  Messagerie  et  Poste  de  l'vne  à  l'autre  :  ils 
ont  des  Carosses  comme  en  France  :  ceux  qui 
ont  fait  les  auuances  trouuent  bien  à  présent 
leurs  comptes  :  ce  Pays  là  n'est  pas  autre  que 
le  nostre  :  ce  qui  se  fait  la,  se  peut  faire  icy. 

Cela  n'empeschera  pas  que  ie  ne  vous  dise 
ce  que  ie  crois  que  l'on  peut  faire,  et  dont  l'on 
peut  faire'  et  dont  l'on  peut  tirer  beaucoup  de 
profit  :  premièrement  la  pesche  de  la  Moluë, 
qui  est  abondante  à  l'entrée  du  Fleuue,  aux 
enuirons  de  G-aspé. 

Secondement  les  huiles,  tant  de  Loups-ma- 
rins que  de  Marsoin,  dont  il  y  a  abondance 
dans  le  Fleuue  Saint  Laurens,  comme  i'ay 
desia  dit.  Il  est  vray  qu  il  y  a  quelque  dépen- 


De  la  NovveUe- France. 


145 


se  à  faire  pour  cela,  mais  elle  ne  sera  pas  con- 
sidérable, à  l'égal  du  grand  profit  qu'on  en 
peut  espérer.  S 

Il  y  a  des  mines  de  fer,  de  cuiure,  d'estain, 
d'antimoine  et  de  plomb  ;  plusieurs  croyent 
qu'il  y  a  aussi  des  souiFrieres. 

l'ay  parlé  à  vn  faiseur  de  salpêtre,  qui  m'a 
dit  qu'on  en  trouueroit  icy  d'aussi  bon,  qu'en 
aucun  lieu  du  monde,  et  en  quantité.  ^ 

Pour  le  charbon  de  bois  de  Cèdre,  il  est 
sans  comparaison  beaucoup  meilleur  qu'au- 
cun, dans  la  composition  de  la  poudre  et  des 
artifices. 

De  plus,  les  bois  qui  sont  icy  en  si  grande 
abondance,  ne  peuuent-ils  pas  jetter  vn  grand 
profit,  soit  pour  les  bastimens  de  mer,  ou  au- 
tres ouvrages,  à  quoy  il  peuuent  estre  vtiles 

La  terre  estant  bonne,  ne  peut-elle  pas  don- 
ner vn  grand  profit,  non  seulement  pour  tou- 
te sorte  de  grains,    qu'on  en  pourroit  tirer 


j — 


146 


Mœvrs  et  Prodvctions 


B 

ES 


abondamment  ;  mais  pour  les  chanvres  et  lins, 
qui  venans  bien,  on  ne  peut  faire  en  abon- 
dance, et  en  faire  par  conséquent  grand  pro- 
fit. 

le  ne  ne  parle  point  de  l'abondance  des  Ani- 
maux, qui  s'y  peuuent  nourrir,  comme  de 
beaucoup  d'autres  choses  que  vous  Aboyez  aus- 
si bien  que  moy,  après  la  description  que  ie 
vous  ay  faite. 

Toutes  les  riuieres  sont-elles  navigables  ? 
le  répons  que  ouy,  auec  les  canots  saunages  ; 
mais  non^  pas  auec  nos  bastimens.  Les 
Nauires  ne  peuuent  pas  passer  Québec,  à  ce 
que  Ton  croit,  les  Barques  et  Chaloupes  ne 
peuuent  pas  aller  plus  loin  que  Mont-Royal  ; 
du  Mont-Royal  jusque  dans  le  lac  des  Iro- 
quois,  il  se  trouue  quarante  lieues  de  rapides, 
que  Ton  ne  peut  pas  monter  qu'auec  des  ca- 
nots, et  des  bateaux  plats  :  encore  les  faut-il 
tirer,  comme  on  tire  les  bateaux  en  montant 


De  la  Nouvelle' France. 


14t 


le  long  de  la  Sene.  Apres  quoy  dans  tous  ces 
grands  lacs,  on  y  peut  aller  auec  barques  et 
chaloupes. 

Ce  qui  empesche  nos  riuières  d*être  naui- 
gables,  se  sont  des  cheutes  d'eau  qui  se  ren- 
contrent par  endroits,  ou  des  rapides  :  et  cela 
aux  vues  plus  qu'aux  autres  ;  car  à  la  riuiére 
du  Saguené,  on  va  jusques  à  quarante  ou  cin- 
quante lieues  auec  vne  double  chaloupe  :  et 
au  contraire  dans  la  riuiere  des  Trois-Riuieres, 
l'on  y  va  pas  plus  de  quatre  lieues  :  Si  ce 
Pays-icy  estoit  habité,  ie  ne  doute  pas  que 
l'on  ne  rendist  nauigable  plusieurs  riuières 
qui  ne  le  sont  point,  et  cela  à  peu  de  frais  : 
car  il  y  a  telle  riuières,  où  il  n'y  a  qu'vn  rapi- 
de d'vn  quart  de  lieuë,  après  lequel  on  pour- 
roit  aller  bien  loin  :  cependant,  cela  le  rend 
inaccessible  à  nos  bastimens. 

Il  me  semble  que  j'entends  quelqu'vn  qui 
dit.   Vous  nous  auez  dit  beaucoup  de  bien  de 


148 


Mœvrset  Prodvctions 


la  Nouvelle-France,  mais  vous  ne  nous  en  fai- 
tes point  voir  les  maux,  ny  les  incommoditez  : 
cependant  nous  sçauons  bien  qu'il  n'y  a  point 
do  Pays  au  monde,  quelque  bon  qu'il  puisse 
estre  où  il  ne  se  rencontre  quelque  chose  de 
fêcheux.  le  vous  répons  que  vous  auez  raison  : 
ça  esté  aussi  mon  dessein  dans  tout  mon  dis- 
cours, de  vous  en  donner  la  connaissance  : 
mais  afin  de  mieux  vous  les  faire  concevoir, 
ie  mettray  icy  en  détail  ce  que  ie  juge  de  plus 
incommode  ou  importun  que  ie  requiray  a 
quatre  ou  cinq  chefs. 

Le  premier  sont  les  Iroquois  nos  Ennemis 
qui  nous  tiennent  resserrez  de  si  prés,  qu'ils 
nous  empeschent  de  jouyr  des  commoditez 
du  Pays  :  on  ne  peut  aller  à  la  chasse,  ny  à 
la  pesche,  qu'er  crainte  d'estre  tué,  ou  pris 
de  ces  coquins-là  :  et  mesme  on  ne  peut  la- 
bourer les  champs,  et  encore  bien  moins  faire 
les  foins,  qu'en   continuelle  risque  :    car   ils 


De  la  Novvelle-France. 


149 


dressent  des  embuscades  de  tous  costez,  et  il 
ne  faut  qu'vn  petit  buisson  pour  mettre  six 
ou  sept  de  ces  barbares  à  l'abry,  ou  pour 
mieux  dire,  à  l'ajflfust,  qui  se  jettent  sur  vous, 
à  l'improuiste-  soit  que  vous  soyez  à  votre 
trauaille,  ou  que  vous  y  alliez.  Ils  n'attaquent 
iamais  qui  ne  se  voyen  1  les  plus  forts  ;  s'ils 
sont  les  plus  foiblent  ils  ne  disent  mot  :  si 
par  hazards  ils  sont  découuerts,  ils  quittent 
tout,  et  s'enfuyent  ;  et  comme  ils  vont  bien 
du  pied  il  est  mal  aisé  de  les  attraper  :  ainsi 
vous  voyez  qu'on  est  touisours  en  crainte,  et 
qu'vn  panure  homme  ne  trauaille  pas  en  seu- 
reté,  s'il  s'écarte  vn  peu  au  loin.  Vne  femme 
est  tousiours  dans  l'inquiétude  que  son  mary, 
qui  est  party  le  matin  pour  son  trauaille,  ne 
soit  tué  ou  pris,  et  que  iamais  elle  ne  le  re- 
uoye  :  c'est  la  cause  que  la  plupart  des  Habi- 
tans  sont  panures,  non  seulement  pour  la  rai- 
son que  ie  viens  de  dire,   qu'on  ne   peut   pas 


150 


Mcevrs  et  Prodvctùms 


jouyr  des  commoditez  du  Pays,  mais  parce 
qu'ils  tuent  souuent  le  bestail  ;  empeschent 
quelquesfois  de  faire  les  récoltes,  bruslent  et 
pillent  d'autres  fois  les  maisons  quand  ils  les 
peuuent  surprendre  Ce  mal  est  grand,  mais 
il  n'est  pas  sans  remède,  et  nous  l'attendons 
de  la  charité  de  notre  bon  Roy,  qui  m'a  dit 
qu'il  vouloit  nous  en  déliurer.  Ce  n'est  pas 
vne  chose  bien  mal-aisée,  puisqu'ils   ne   sont 

pas  plus  de  huit  ou  neuf  cens  hommes  por- 
tans  les  armes.  Il  est  vray  qu'ils  sont  soldats^ 
et  bien  adroits  dans  les  bois  ;  ils  l'ont  fait  voir 
à  nos  Capitaines  venus  de  France,  qui  les  mé . 
prisoient  :  les  vns  v  sont  demeurez,  et  les  au- 
tres ont  esté  contraints  :  d'auoûer  qu'il  ne 
faut  pas  se  négliger,  quand  on  va  à  la  guerre 
contre-eux  ;  qu'ils  entendent  le  mestier,  et  qu'il 
ne  sont  point  barbares  en  ce  point  ;  mais  après 
tout,  mil  ou  douze  cens  hommes  bien  conduits 
feroient  dire  :  ils  ont  esté,   mais   ils   ne  sont 


il 


De  la  NorveUe- France. 


151 


ir 


re 
fil 


plus  :  cela  mettroit  la  réputation  des  François 
bien  haut  dans  tout  le  Pays  de  la  Nouuelle- 
France,  d'auoir  exterminé  vne  nation  qui  en 
a  fait  tant  périr  d'autres,  et  qui  est  la  terreur 
de  tous  ces  Fays-icy. 

« 

La  seconde  incommodité  que  ie  trouue  ici, 
sont  des  Maringoins,  autrement  appeliez  Cou- 
sins, qui  sont  en  grande  abondance  dans 
les  forests,  pendant  trois  mois  de  l'Esté  :  il 
s'en  trouue  peu  dans  les  campagnes,  à  raison 
qu'il  ne  peuuent  résister  au  vent  ;  car  le 
moindre  petit  vent  les  emporte  :  mais  dans 
les  bois,  où  ils  sont  à  l'abry,  ils  y  sont  estran- 
gement  importuns  ;  et  surtout  le  soir  et  le 
matin,  et  picquent  plus  viuement  quand  ils 
sentent  de  la  pluye,  qu*en  vn  autre  temps.  Ils 
s'est  trouue  des  personnes  qui  en  auuoient 
le  visage  extrêmement  enflé  ;  mais  cela  ne 
dure  pas,  car  au  bout  de  vingt-quatre  heures, 
il  n'y  paroist  quasy  plus,  la  fumée  les  fait 


152 


Mœvn  et  Prodvdions 


fuyr  ;  c'est  pourquoy  on  fait  tousioura  du  feu 
et  de  la  fumée  proche  de  soy,  quand  on  couche 
dans  le  bois. 

La  troisième  incommodité  que  ie  rencontre, 
c'est  la  longueur  de  l'Hyuer,  surtout  deuers 
Québec.  le  n'en  parleray  pas  d'auantage,  veu 
que  j'en  ai  dit  assez  cy-dessus  :  le  diray  seu- 
lement que  les  neiges  y  sont  de  trois  ou  quatre 
pieds  de  haut,  ie  dis  à  Québec  :  car  aux  autres 
habitations  il  y  en  a  beaucoup  moins,  comme 
j'ay  desiadit 

Dans  le  Pays  des  Iroquois,  se  trouuent  de 
certaines  couleuures,  qu'on  appelle  des  Ser- 
pens  à  soniiettes,  qui  sont  dangereuses  pour 
leurs  morsures  ;  j'en  ai  desia  parlé,  ainsi  ie 
n'en  diray  rien  d'auantage,  sinon  qu'il  n'y  en 
a  point  dans  ces  quartiers  icy  :  Voila  les  plus 
grande  incommoditez  dont  j'ai  connaissance. 

Voici  encore  vne  question  qui  m'a  esté  fai- 
te, sçauoir  comme  on  vit  en  ce  Pays-cy  ;  si  la 


De  la  Novvelle- France. 


153 


lustice  s'y  rend  ;  s'il  n'y  a  point  du  libertina- 
ge, veu  qu'il  y  passe,  dit-on  quantité  de  gar- 
nemens,  et  des  filles  mal-viuantes. 

J'y  répondray  à  tous  les  points  l'un  après 
l'autre,  et  ie  commencerai  par  le  dernier.  Il 
n'est  pas  vray  qu'il  vienne  icy  de  ces  sortes 
de  filles,  et  ceux  qui  en  parlent  de  la  façon  se 
sont  grandement  mépris,  et  on  pris  les  Isles 
de  Saint  Christophle  et  la  Martinique  pour 
la  Nouuelle-France  :  si  il  y  en  vient  icy,  on 
ne  les  connoist  pas  pour  telles  :  car  auant  que 
de  les  embarquer,  il  faut  qu'il  y  aye  quelques- 
vns  de  leurs  parens  ou  amis  qui  asseurent 
qu'elles  ont  tousiours  esté  sages  :  si  par  ha- 
zard  il  s'en  trouue  quelques-vnes  de  celles  qui 
A  n  liuent,  qui  soient  décriées,  ou  que  pendant 
la  t  luersée  elles  ayent  eu  le  bruit  de  se  mal 
comporter,  on  les  renuoye  en  France. 

Pour  ce  f  ui  est  des  garnemens,  s'il  y  en  pas- 
se, c'est  qu,on  ne  les  connoist  pas  ;  et   quand 


154 


Mœvrs  et  Prodvctiona 


1  !  > 


ils  sont  dans  le  pays,  ils  sont  obligés  de  viure 
en  honnestes  gens,  autrement  il  n'y  auroit 
pas  de  jeu  pour  eux  :  on  scait  aussi  bien  pen- 
dre en  ce  pays-icy  qu'ailleurs,  et  on  l'a  fait 
voir  à  quelques- vns  qui  n'ont  pas  estes  sages. 

Pour  la  ïustice,  elle  se  rend  icy  ;  il  y  a  des 
luges  :  et  quand  on  ne  se  trouue  content,  on 
en  appelle  deuant  le  Grouuerneur,  et  vn  Con- 
seil Souuerain  estably  par  le  Roy  à  Québec. 

lusques  à  cette  heure  on  a  vescu .  ssez  dou- 
cement, panîe  que  Dieu  nous  a  fait  la  grâce 
d'auoir  tousiours  des  Gouuerneurs  qui  ont 
esté  des  gens  de  bien,  et  d'ailleurs  nous  auons 
icy  les  Père  I^suites  qui  prennent  vn  grand 
soin  d'instruire  le  monde  :  de  sorte  que  tout 
y  va  paisiblement  ;  on  y  vit  beaucoup  dans 
Ix  crainte  de  Dieu  ;  et  il  ne  se  passe  rien  de 
scandaleux,  qu'on  n'y  apporte  aussi-tost  re- 
mède :  ladeuotion  est  grande  en  tout  le  Pays. 


De  la  Novvelle-Franœ. 


155 


:o: — 


SUITE  DU  MESME  SUJET, 


•:o: 


CHAPITRE  XIV. 


N 


►ut 

LUS 

de 

ire- 
ys. 


Plusieurs  personnes  qui  après  auoir  enten- 
du discourir  d«  la  Nouuelle-France,  soit  qu'il 
leur  prit  ennuie  de  venir  ou  non,  faisoient  cet- 
te question  ;  pensez- vous  que  je  fusse  propre 
pour  ce  pays-là  ?  que  faudroit-il  faire  pour  y 
aller  habiter  ?  Si  i'y  portois  quatre  ou  cinq 
mille  francs,  pourrois-je  avec  cela  m'y  acco- 
moder  honesteraent  ?  et  en  su::t^.  beaucoup 
d'autres  questions  que  ie  mettray  les  vues 
après  les  autres,  après  auoir  répondu  à  celle-cy 

Vous  me  demandez  premièrement  si  vous 
estes  propres  pour  ce  pays  ?  La  réponse  que 
ie  vous  fais  c'est  que  ce  pays-cy  n'est  pas   en- 


156 


\ 


Mœurs  et  Productions 


core  propre  pour  les  personnes  de  condition 
qui  sont  extrêmement  riches,  parce  qu'ils  ne 
rencontreroient  pas  toutes  les  douceurs  qu'ils 
font  en  France  :  il  faut  attendre  qu'il  soit 
plus  plus  habité,  à  moins  que  ce  ne  fussent 
des  personnes  qui  voulussent  se  retirer  du 
monde,  pour  mener  vne  vie  plus  douce  et  plus 
tranquille,  hors  de  l'embaras  :  ou  quelqu'vn 
qui  eust  enuie  de  s'immortaliser  par  la  bastisse 
de  quelques  Villes,  ou  autre  choses  de  consi- 
dérable dans  ce  nouueau   monde. 

Les  personnes  qui  sont  bonnes  dans  ce  Pays- 
icy,  sont  des  gens  qui  mettent  la  main  à  l'œu- 
ure,  soit  pour  faire,  ou  pour  faire  faire  leurs 
habitations,  bastiments  et  autres  choses  : 
car  comme  les  iournées  des  hommes  sont 
extrêmement  chères  icy,  vn  homme  qui  ne 
prendrait  pas  soin,  et  qui  n'Aseroit  pas  d'œco- 
nomie  se  ruineroit  ;  mais  pour  bien  faire,  il 
faut   tousiours   commencer   par   le   défriche- 


De  la  Novve/ le- France. 


U1 


ment  des  terres,  et  faire  vne  bonne  métairie, 
et  par  après  on  songe  à  autres  choses  ;  et  ne 
pas  faire  comme  quelques-vns  que  i'ay  veu, 
qui  ont  dépensé  tout  leurs  biens  à  faire  de 
beaux  bastimens  qu'ils  ont  esté  contraints  de 
vendre  après,  à  beaucoup  moins  qu'ils  ne 
leur  auoint  cousté. 

le  suppose  que  ie  parle  à  des  personnes 
qui  ne  viennent  s'establir  dans  le  pays  à  au- 
tre dessein  que  d'y  faire  vn  revenue,  et  non 
pour  y  faire  marchandise. 

Il  seroit  bon  qu'vn  homme  qui  viendroit 
pour  habiter,  apportast  des  iures  du  moins 
pour  un  an  ou  deux,  si  faire  se  peut  ;  surtout 
de  la  farine,  qu'il  aura  beaucoup  à  meilleur 
marché  en  France,  et  mesme  n'est  pas  tous- 
iours  asseuré  de  trouuer  icy  pour  son  argtMit  ; 
car  s'il  venoit  grand  monde  de  France  sans 
en  apporter,  et  qu'il  arriuast  A^ne  mauuaisv^ 
année  pour  les  grains,  comme  Dieu  nous  en 
garde,  il  trouueroient  bien  empeschez. 


158 


Mcevrs  et  Prodvctions. 


Il  est  bon  aussi  de  se  fournir  de  hardes,  car 
elles  vallent  icy  le  double  qu'en  France. 

L'argent  y  est  aussi  plus  cher,  il  y  hausse 
du  quart,  en  sorte  quVne  pièce  de  quinze  sols 
en  vaut  vingt  :  ainsi  à  proportion  du  reste. 

Vn  homme  qui  auroit  de  quoy,  ie  lui  con- 
seillerois  d'amener  icy  deux  bons  hommes  de 
trauail,  pour  défricher  les  terres,  ou  d'auantage 
mesme,  s'il  a  le  moyeu  :  c'est  pour  répondre 
à  la  question;  si  vue  personne  qui  employe- 
roit  trois  ou  quatre  mille  francs,  pourroit  fai- 
re quelque  chose  :  il  se  mettroit,  en  trois  ou 
quatre  ans  bien  à  son  aise,  pourueu  qu'il  veuil- 
le vser  d'œconoraie,  comme  i'ay  déjà  dit. 

La  plupart  de  nos  habitants  qui  sont  icy, 
sont  des  gens  qui  sont  venus  en  qualité  de 
serviteurs,  et  après  auoir  seruy  trois  ans  chez 
vn  Mastre,  se  mettent  à  eux  ;  ils  n'ont  pas 
trauaillé  plus  d'vne  année  qu'ils  ont  défriché 
des  terres,  et  qu'ils  recueillent  du  grain    plus 


De  la  Novvelle-France. 


159 


qu'ii  n'en  faut  pour  les  nourir.  Quand  ils  se 
mettent  à  eux,  d'ordinaire  ils  ont  peu  de  chose, 
ils  se  marient  ensuite  à  vne  femme  qui  n'en 
a  pas  davantage  ;  cependant  en  moins  de  qua- 
tre ou  ci'.iq  ans  vous  les  voyez  à  leur  aise,  s'ils 
sont  vn  peu  gens  de  trauail,  et  bien  ajustez 
pour  des  gens  de  leur  condition. 

Tous  les  panures  gens  seroient  bien  mieux 
icy  qu'en  France,  pourueu  qu'ils  ne  fussent 
pas  paresseux  ;  ils  ne  manqueroient  pas  icy 
d'employ,  et  ne  pourroient  pas  dire  ce  qu'ils 
disent  en  France,  qu'ils  sont  obligez  de  cher- 
cher leur  vie,  parce  qu'ils  ne  trouvent  person- 
ne qui  leur  veuille  donner  de  la  besogne  ;  en 
un  mot,  il  ne  faut  personne  icy,  tant  hom- 
me que  femme,  qui  ne  soit  propre  à  mettre  la 
main  à  l'œuure,  à  moins  que  d'estre  bien  ri- 
che. 

Le  travail  des  femmes  consiste  dans  le  soin 
de  leurs  ménages,  à  nourrir  et  à  penser  leurs 


160 


Mcevrs  et  Productions 


bestiaux  ;  car  il  y  a  peu  de  seruante  icy  : 
ainsi  les  femmes  sont  contrainte  de  faire  leurs 
ménages  elles-mesmes  :  toutesfois  ceux  qui 
ont  de  quoy  prennent  des  valets,  qui  font  ce 
que  feroit  vne  seruante. 


:o; 


fit-' 


Remarques  qui  ont  este  obmises  aux 


chapitres  précédents 


* 


:o: 


CHAPITRE  XV 


r 
h 


;i' 


Puisqu'il  me  reste  encore  vn  peu  de  temps, 
ie  feray  ce  Chapitre  de  diuerses  choses  que 
j'ay  obmise  dans  les  precedens,  qui  ne  seront 
pas  désagréables  au  Lecteur  curieux. 

Cette  Fontaine  dont  i'ay  parlé  cy-deuant, 
qui   est  dans  le  pays  des  Iroquois,  et  dont  ils 


De  la  Novvelle- France 


161 


[ue 
tout 

liiit, 
ils 


se  se  ruent  comme  d'huile  ;  quand  on  la  re- 
mue auec  vn  baston,  e  :  le  jette  comme  des  flam- 
mes ;  mais  comme  i'ay  desia  dit,  elle  n'est 
point  bonne  ny  à  brusler  ny  à  manger,  mais 
simplement  à  graisser. 

Cette  Mine  de  plomb,  dont  j'ay  parlé,  qui 
n'est  pas  bien  loin  d'icy,  rend  soixante  et 
quinze  pour  cent,  et  les  Iroquois  coupent  de 
ce  rocher,  auec  leurs  haches,  et  en  font  de  pe. 
tits  bastons  quarroz  qu'ils  coupent  de  longuer, 
ix)ur  s'en  seruir  à  tirer  quand  ils  vont  en  guer- 
re, lorsqu<^  les  balles  leur  manquent. 

Dans  le  lac  Supérieur,  il  y  a  vue  grande  Isle, 
qui  a  enuiron  cinquante  lieues  de  tour,  dans 
laquelle  il  y  a  vne  fort  belle  mine  de  cuiure 
rouge  ;  il  s'en  trouue  en  diuers  endroits  de 
gros  morceaux  tout  rafinez. 

Il  y  a  d'autres  endroits  de  ces  quartiers  ^^ 
ou  il  y  a  de  pareilles  mines,  ainsi  que  j'ay  ap- 
pris de  quatre  ou  cinq  François,  qui  en  sont 


162 


Mœvrs  et  Prodvdions 


reuenus  depuis  peu,  qui  estoiont  allez  en  la 
compagnie  d'vn  Père  lesuite,  qui  y  estoit  allé 
en  Mission  et  qui  y  est  mort,  Ils  y  ont  passé 
trois  ans,  auant  que  de  trouuer  occasion  de 
s'en  reuenir  :  il  m'ont  dit  qu'ils  ont  veu  vn 
lingot  de  cuiure  tout  rafiné  qui  est  le  long 
d'vne  coste,  et  qui  peze  plus  de  huit  cent  Hu- 
res, selon  leur  estime  :  ils  disent  que  les  Sau- 
nages en  passant  font  du  feu  dessus,  après 
quoy  ils  coupent  des  morceaux  auec  leurs 
haches  ;  vn  d'entre-eux  en  voulut  faire  de 
mesme,  il  y  cassa  tout  sa  hache  :  le  chemin 
ne  seroit  pas  mal-aisé,  si  nous  estion  les  Mais- 
tres  des  Iroquois,  et  qu'on  peust  passer  par- 
deuant  leur  grand  Lac. 

Ils  m'ont  appris  de  plus  qu'il  se  trouue  là 
de  belles  pierres  bleues,  qu'on  crois  estre  des 
Tusquoises. 

Il  se  trouue  aussi  des  pierres  vertes  comme 
des  Emeraudes. 


De  la  Novveile- France. 


168 


Il  a  aussi  des  Diamans,  mais  ie  ne  scay  pas 
s'ils  sont  fins  :  ils  n'ont  peu  aller  jusqaes  au 

lieu  où  ces  pierres  sont,  les  Saunages  les  y 
voulant  pas  conduire  sans  recompense,  veu 
qu'il  y  auoit  vn  peu  loin  :  eux  se  trouuans 
dans  la  nécessité  n'osèrent  en  faire  la  dépense, 
ne  s'y  connoissant  pas  assez  pour  sçauoir  si 
elles  étaient  bonnes  ou  non. 

Il  s'y  trouue  aussi  des  pierres  rouges  de  deux 
sortes  :  les  vues  de  rouge  d'écarlate,  et  les  au- 
tres d'vn  rouge  de  sang  de  bœuf  ;  les  Sauna- 
ges s'en  seruent  pour  faire  des  calumets  ou 
pipes,  pour  prendre  leur  tabac,  dont  ils  font 
bien  de  Testât. 

Il  se  rencontre  aussi  des  teintures,  de  tou- 
tes sortes  de  couleurs,  dont  les  Saunages  se 
seruent  ;  des  quelles  ie  ne  feray  pas  vne  gran- 
de description,  pour  n'auoir  pas  vne  parfaite 
connaissance,  sinon  d'vne  petite  racine  de 
bois  dont  ils  se  seruent  pour  teindre  en  cou- 


164 


Mœvrs  et  Prodvctions 


leur  de  feu,  qui  a  la  couleur  bien  viue.  Pour 
les  autres  couleurs,  ils  se  seruent  d'herbes,  de 
pierres  et  de  terre.  Tout  ce  que  ie  peux  dire, 
c'est  que  la  pluspart  de  leurs  couleurs  me 
semblent  bien  belles  et  bien  viues  :  ie  leur  ay 
veu  du  bleu  semblable  a  nostre  azur,  et  ie  ne 
>^cay  pas  si  ce  n'en  est  point. 

Dans  le  Pays  des  Iroquois,  sçauoir  aux 
Onontagué,  il  se  trouue  vue  pierre  de  craye 
blanche,  dont  les  Hollandois  en  ont  esté  quel- 
quesfois  quérir,  et  ont  dit  aux  Saunages  que 
c'estoit  pour  blanchir  leur  linges. 

Au  lac  Saint  François,  qui  est  enuiron  qua- 
torze ou  quinze  lieues  au  dersus  du  Mont- 
Royal,  il  se  trouue  vue  des  belles  Chesnayes 
qui  soit  dans  le  monde,  tant  pour  la  beauté 
des  arbres,  que  pour  sa  grandeur  :  elle  a  plus 
de  vingt  lieues  de  long,  et  l'on  ne  scait  pas 
combien  elle  a  de  large. 

FIN 


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